Mavis et Howard, les deux derniers dauphins du West Edmonton Hall
Qui se souvient aujourd’hui de Mavis et Howard, les deux derniers dauphins du West Edmonton Hall ?
Personne. Les dauphins captifs s’éteignent en silence. Lorsqu’ils meurent, on efface leur nom et leur mémoire des sites des delphinariums. Il n’y a jamais eu de Tex, jamais eu de Beachie ni de Valentin. On nettoie Google. Et ne cherchez pas leur tombe : ils sont tous partis à l’équarrissage.
L’histoire de Mavis et Howard vaut pourtant d’être contée.
C’est le genre d’histoires que vous ne trouverez dans aucun média : ceux-ci sont bien trop occupés à relayer les stupéfiantes découvertes du Parc Astérix sur le bonheur des dauphins captifs ou les « recherches » sur une orque qui parle anglais au Marineland d’Antibes. Mais c’est aussi le genre de récit qui nous font comprendre les émotions ressenties par les dauphins captifs, mieux que n’importe quelle « étude » financée par l’Industrie de l’esclavage cétacéen.
Voici donc le récit de la vie tragique de Mavis et Howard, qui sont morts d’avoir trop aimé.
QUATRE DAUPHINS DANS UN CENTRE COMMERCIAL
En mai 1985, 4 jeunes dauphins Tursiops nageaient gaiement dans les mangroves près de Charlotte Harbour, en Floride.
Ce n’étaient encore que des gosses, âgés de deux à quatre ans.
Leur destin bascula brusque lorsque la famille Ghremezian, propriétaire du West Edmonton Mall, décida d’ajouter un mini-delphinarium dans leur centre commercial au Canada.
A leur demande, le célèbre Jay Sweeney s’empara donc des quatre jeunes dauphins. Un homme très recommandable, ce Sweeney, puisqu’il captura aussi des orques à la dynamite, fonda la chaîne commerciale Dolphin Quest et reçut pour sa peine le grand prix de l’IMATA, l’association esclavagiste des dresseurs de dauphins.
Trois autres dauphins se noyèrent malencontreusement pendant l’opération de capture.
Nul ne s’en formalisa : les dauphins étaient abondants dans la région à cette époque, et il y avait toujours quelques pertes collatérales quand on kidnappait des delphineaux au sein de leur clan familial.
Les quatre survivants furent transportés dans l’Alberta et aussitôt amenés à l’intérieur du Mall.
On les y surnomma Mavis, Howard, Gary et Marie.

Les dauphins des mangroves en Floride sont les plus faciles à capturer : la plupart des dauphins en Europe sont également issus de cette population
En mai 2001, après 16 ans de captivité dans ce hall commercial bruyant, sans soleil et mal ventilé, Gary fut le premier à mourir. Il n’avait que 20 ans.
La petite delphine Marie le suivit de peu, qui décéda vers 19 ans au mois d’août de la même année.
L’autopsie révéla que cette mort était due à l’ingestion de pièces de monnaie et autres objets incongrus que les visiteurs jetaient dans son bassin et que la delphine avalait par ennui. Le métal lui avait empoisonné le sang.
Il ne resta donc plus dans le bassin que Mavis et Howard.
MAVIS AIMAIT TROP SES ENFANTS
Le cadavre d’un delphineau flottait dans le bassin du delphinarium d’Edmonton Mall ce 12 juillet 2002, pendant que sa mère, doucement, le poussait du rostre en tentant désespérément de le ramener à la vie.
Les clients du Mall, qui se mettaient à l’abri de la chaleur caniculaire, furent très surpris de se retrouver tête-à-tête avec ce spectacle dramatique, qui suscitaient mille questions de la part des enfants :
– « Pourquoi le petit dauphin, il ne bouge plus ? Il va se réveiller ? » demandait un garçonnet à son père, puis avec des larmes plein la voix, l’enfant insistait encore : « Il a faim ? Il est mort de faim ? »
Le bébé dauphin était né la veille. Les dresseurs avaient fait le choix de laisser le bébé mort dans la piscine avec ses parents, Mavis et Howard, afin qu’ils fassent le deuil de leur enfant.
«Ce n’était d’ailleurs pas sans risque de descendre dans la piscine juste après le décès » déclarait alors le porte parole du delphinarium, mais Mavis devait d’abord accepter l’évidence».
En fin d’après-midi, Mavis poussait toujours le petit cadavre d’un coin à l’autre du bassin, l’emmenant parfois vers le fond puis le ramenant à la surface. Elle laissait flotter le corps un instant puis revenait vers lui et le poussait encore.
C’était là son troisième enfant et tous étaient morts de la même manière.
Son amie Marie avait également perdu le sien, avant de décéder elle-même.
Certains témoins expliquaient même que Mavis avait tué son delphineau à la naissance : elle l’aurait frappé à plusieurs reprises et l’aurait entraîné au fond du bassin jusqu’à ce qu’il meure. Peut-être a-t-elle tué ses deux premiers aussi. Le phénomène n’est pas rare en delphinarium, comme le récent exemple de Lulu nous le rappelle.
Quoiqu’il en soit, Mavis abandonna la lutte l’année suivante. Elle mourut le 23 juillet 2003, à l’âge de 23 ans.
« Nous avons procédé à un examen post mortem et nous n’avons pu trouver aucune raison médicale valable pour expliquer son décès », déclarait sans rire le Dr. Carol Shwetz, le vétérinaire du West Edmonton Mall, précisant que la delphine Mavis refusait de manger depuis un certain temps pour des raisons non expliquées.
« Peut-être était-ce pour elle le moment de mourir. Personne ne sait combien de temps les dauphins vivent en liberté ».
De 40 à 50 ans, mais les delphinariums ont parfois de sérieux trous de mémoire…
HOWARD AIMAIT TROP MAVIS
Désormais, Howard tournait tout seul dans le bassin où ses amis, sa compagne et ses enfants avaient rendu leur dernier souffle.
Une vaste campagne internationale, soutenue entre autres par Dauphins Libres, exigea qu’on le tire de là au plus vite, avant qu’il ne succombe à son tour. Mais les choses n’étaient pas aussi simples !
Le show du Mall constituait en effet une attraction appréciée de la région, que des milliers d’enfants en voyage scolaire visitaient chaque année : « Un dauphin solitaire est certainement en difficulté » reconnaissait benoîtement la vétérinaire du Mall, « Mais nous pouvons envisager de lui adjoindre d’autres dauphins, ou à tout le moins des compagnons comme une tortue marine ou un pingouin.
Il ne faut pas oublier non plus que pour lui, les dresseurs font partie de sa propre famille. Il n’est donc pas tout à fait seul ! »
Pourtant, depuis le décès de sa compagne Mavis, Howard maigrissait.
Il souffrait également d’ulcères et, selon les témoins, d’un stress intense. Les défenseurs des animaux costumés en dauphins commencèrent à manifester directement devant le Mall, réclamant la libération d’Howard, tandis que le directeur du WEM recevait près de 500 e-mails par jour exigeant la même chose. Du jamais vu pour l’époque, qui ne connaissait encore ni Twitter, ni Facebook.
Le retour en mer de ce dauphin était d’autant plus facile à réaliser qu’on connaissait l’endroit précis où il avait été capturé. Randy Wells, le célèbre cétologue américain, se disait même prêt à tenter l’expérience de la réhabilitation d’Howard dans ses eaux d’origine.
Rien n’y fit.
En décembre 2004, Howard flottait toujours dans son bassin du WEM, plus solitaire que jamais.
Mais les gestionnaires du Mall ne voulaient pas le lâcher. Selon eux, l’animal était déjà bien trop malade que pour pouvoir être transporté. Ce qui ne l’empêchait pas, malgré sa santé déficiente, d’exécuter chaque jour les sempiternelles shows qu’on lui avait appris.
« C’est bon pour sa forme physique » disait les dirigeants du WEM.
C’était surtout bon pour les finances du centre commercial.
PLUS AUCUNE RAISON DE VIVRE
Sous la pression de plus en plus intense de l’opinion internationale, Howard fut enfin déplacé en Floride, dans les bassins du Theater of the Sea.
Le WEM expliqua dans un communiqué :
« Au milieu de la nuit, à 2 heures le dimanche 23 mai 2004, Howard le dauphin a quitté la maison qu’il connaissait depuis près de 20 ans. La veille, il avait fait un dernier tour de nage dans le bassin où, depuis 1985, il effectuait d’innombrables tours et pirouettes qui enchantaient les visiteurs du centre commercial, jeunes et moins jeunes.
La santé de Howard était menacée depuis que sa partenaire Mavis était morte. Le centre aura passé 6 mois à planifier le déménagement, ce qui fut une tâche difficile.
Howard a été chargé sur une civière et placé dans un conteneur spécial. Il a été immédiatement transporté à l’aéroport municipal local et chargé sur un jet privé Falcon 20. Il est arrivé dans sa nouvelle demeure vers 4 heures du matin, accompagné de son dresseur et de vétérinaires. Le transport a coûté plus de 40 000 USD et impliqué environ 100 personnes« .

Le Theater of The Sea n’épargent évidemment pas à ses dauphins des interactions incessantes avec les touristes
Sept dauphins se trouvaient déjà au TOTS. Il y vivaient dans des conditions bien différentes de celles qu’Howard avait connu : soleil, vent, nuages, oiseaux dans le ciel, mangroves et de l’eau de mer naturelle dans le vrai lagon à ciel ouvert agrémenté de flamants roses. Notre survivant du WEM parut d’abord bien s’adapter. Il se fit même deux nouveaux amis.
Mais quelque chose en lui s’était brisé.
Sans doute revoyait-il sans cesse des images de Mavis poussant ses bébés morts en silence, de son copain d’enfance Gary, avec qui il jouait toute petit dans la mangrove et de la petite Marie devenue à moitié folle, qui avalait des pièces de monnaie au fond du bassin crasseux…
Après 20 ans de captivité, il en avait trop vu de la méchanceté des hommes.
On lui avait tout pris : sa compagne, ses enfants, ses amis, sa famille, son pays et sa dignité.
Howard n’avait plus vraiment aucune bonne raison de vivre…
Howard, le dernier dauphin du West Edmonton Mall, mourut un an après son transfert en Floride.
Il n’avait que 26 ans.
Beverley Osborne, conservateur au Théâtre de la Mer, qui était devenu la nouvelle « maison » de Howard, déclara simplement que « le personnel du parc était très attristé par la mort de Howard et qu’une autopsie serait effectuée pour déterminer la cause de sa mort ».
Les résultats n’en furent jamais communiqués.
Et on ne parla plus jamais non plus des dauphins du WEM, où opèrent désormais des otaries esclaves.
ANNEXE
L’histoire de Pauline
« Parce qu’ils sont sociables, les dauphins supportent mal la solitude.
Laissé seul, un dauphin captif s’ennuie à périr et cesse de s’alimenter, il dépérit réellement à s’en laisser mourir.
Qu’on lui donne une compagne, qu’on stimule son intérêt, qu’on meuble ses journées d’une façon ou d’une autre, il revit.
L’histoire de Pauline, que racontent Brown et Norris (Université de Califormie) en est un exemple.
Pauline, une jeune femelle récemment capturée et blessée, était arrivée dans son bassin en état de choc.
Malgré les piqûres d’adrénaline, elle se laissait couler, amorphe, dès qu’on l’abandonnait à elle-même. On lui attacha quatre flotteurs au corps pour la maintenir en surface. Elle flotta ainsi pendant trois jours, indifférente à tout, refusant de bouger ou d’avaler quoique ce fût.
Alors, on introduisit dans son bassin un compagnon.
Le mâle s’approcha d’elle aussitôt.
Lui parla-t-il ? Immédiatement elle réagit, remua, tenta de nager. On ôta ses bouées et elle se mit, tout engourdie, à nager avec effort tandis que le mâle, sous elle, la poussait de temps à autre vers la surface. Grâce à son aide, elle se rétablit complètement. Ils devinrent inséparables. Deux mois plus tard, Pauline mourut d’une complication lointaine de la blessure subie lors de sa capture.
Le dauphin pleura sa mort en sifflant constamment. Il tourna inlassablement autour du corps sans vie et de ce jour refusa toute nourriture. Trois jours durant, on entendit ses lamentations, on le vit tourner en rond sans but.
Le troisième jour, il mourut.
On n’a jamais fait l’autopsie des amants romantiques morts «de consomption» mais Brown et Norris rapportent que l’autopsie qu’ils pratiquèrent «révéla la présence d’un ulcère gastrique perforé» et ils ajoutent :
«L’ulcère a probablement été aggravé par le refus de l’animal de se nourrir, ce qui causa la perforation, la péritonite qui s’en suivit et
la mort. Des ulcères d’estomac cicatrisés ont été trouvés depuis dans deux autres sujets examinés en notre laboratoire. La cause première de ces ulcères n’a pas été déterminée« .

Il n’était pas rare de détenir des dauphins solitaires à l’époque. Leur temps de vie était très bref.
Instinct sexuel contrarié, dites-vous ?
Soit, mais alors c’est aussi d’une contrariété de leurs instincts sexuels que Roméo et Juliette sont morts au pied de leur obstacle social et cela ne valait vraiment pas la peine d’en faire tout le bruit que les hommes en ont fait dans leur littérature.
Et puis, il n’y a pas que l’amour-passion à substrat sexuel. Les dauphins font aussi preuve d’amitié, d’une amitié pure et platonique, limitée à la seule joie d’être ensemble.
A Marineland en Californie, deux mâles vivaient en excellente intelligence dans le même bassin avec plusieurs femelles.
L’un deux fut enlevé du bassin pour aller donner une série de représentations ailleurs.
Trois semaines plus tard, on le ramenait. Pour les deux amis, ce fut une explosion de joie manifeste. Pendant des heures, ils nagèrent de concert, l’un auprès de l’autre, sautant ensemble hors de l’eau. Pendant les jours suivants, inséparables, ils ignorèrent totalement leurs épouses. «Les copains d’abord», ce n’est pas seulement humain lorsqu’est venue l’accoutumance.
Extrait de « Dauphin mon cousin ».
Robert Stenuit était un plongeur belge qui publia au début des années 60 un étonnant ouvrage qui ne fut jamais réédité.
Il y raconte les premiers moments d’émerveillement scientifique devant la découverte de l’intelligence des dauphins et les travaux de John Lilly sur le langage mais aussi, en toute ignorance de la réalité tragique, de terribles anecdotes à propos des delphinariums d’alors.
L’histoire de Pauline nous renvoie à celle de Mavis et Howard et celle-ci aux tragédies silencieuses qui se déroulent encore aujourd’hui dans les eaux turqoise de nos delphinariums.