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Macaques crabiers : vie quotidienne à l’île Maurice 

Macaques crabiers : vie quotidienne à l’île Maurice 

L’aube se lève sur les Gorges de la Rivière noire, éveillant avec elle le chant de mille oiseaux, boulbouls, tisserins, cardinaux de Madagascar, martins, mêlé aux roucoulements du pigeon des mares et aux premiers cris de ralliement des macaques émergeant du sommeil dans les branches d’arbres millénaires.

Sa lumière rose et douce, encore tiède, baigne la petite famille de singes.
Maman babille avec son bébé attaché à son sein, articulant pour lui des vocalises aiguës, semblables aux «arrheu arrheu » et autres «guiliguili» dont usent aussi les êtres humains. Bientôt, l’enfant s’initiera ainsi au parler complexe de sa tribu, à ses cris modulés si variés et chargés de sens, à ses mimiques faciales et sa gestuelle.
Puis elle se tourne vers ses deux aînés, tout jeunes encore et elle leur montre- avec des gestes amples, insistants, alternés de longues pauses afin d’en mieux en détailler le déroulement – comment il convient de se curer les dents, à l’aide d’une fine baguette arrachée à une branche et de garder ainsi la bouche propre.

Ici, la nourriture ne manque pas : fruits, graines, bourgeons et feuilles, mais aussi termites et autres insectes, fleurs ou champignons. Plus près du sol, les goyaves de Chine au goût sucré acide prospèrent en abondance. Vivement, Maman compte ses petits, car les macaques savent compter, et même faire des additions !
Pas de souci : ils sont bien trois et dans sa tête, la mère calcule d’avance le nombre de goyaves dont chacun de ses deux grands aura besoin pour la journée.

La tribu se met en mouvement.
A sa tête, un mâle dominant, du moins pour quelques mois, et sous son regard, une Ancienne, véritable pivot du groupe.
D’autres clans les rejoignent parmi les arbrisseaux fruitiers. Des bagarres éclatent, des crocs se découvrent, des sourcils se soulèvent, des lèvres se pincent ou s’entrouvrent, mais ce ne sont là que discours non verbaux, des mimiques qui disent plus que ne le feraient des paroles. Sans cesse, au fil des jours et des années, des alliances se nouent, se dénouent, des singes s’entraident ou se coalisent contre d’autres, tandis que les matriarches tentent de ramener le calme et de séparer les combattants.

Certains d’entre ces jeunes sont habiles : tout en menaçant leurs adversaires, ils adressent des signaux amicaux à d’autres pour quémander leur soutien. Ils savent aussi qu’il est plus utile d’implorer l’appui des puissants et qu’au terme d’une dispute, mieux vaut se réconcilier avec la mère de son ennemi en allant l’épouiller ou en la serrant dans ses bras, plutôt qu’avec son fils.
Chez les macaques, en effet, chacun sait qui domine, qu’il soit mâle ou femelle, chacun sait qui est l’allié de qui et de quelle lignée matrilinéaire tous les autres proviennent. Mais après les bagarres, place au rire : adultes comme enfants se plaisent à jouer et à se faire des blagues.

La statue de Shiva à Grand Lac. Photo YG 2014

Au loin, l’immense statue de Shiva en cuivre doré se dresse jusqu’au ciel.
Le Grand Lac n’est pas loin, où se presseront bientôt de paisibles dévots déposant leurs bananes ou leurs noix de coco en offrande, des chiens errants et derrière eux, une meute bruyante et impudique de touristes photographiant à tout va pèlerins, singes et monuments. Les macaques, quant à eux, descendent prélever leur dû, puisqu’en tant qu’incarnations du Seigneur Hanuman, ils y ont pleinement droit.

Puis le soir tombe.
Les oiseaux entonnent leurs chants d’avant nuit. Repus, heureux, les premiers clans regagnent la forêt. Maman, son bébé et ses deux grands les suivent, avec toute sa tribu.
Ce jour fut doux, calme et joyeux et demain sera semblable.

Mais voici qu’au détour d’un chemin, des hommes sont tapis qu’elle ne voit pas encore.
Un filet tombe sur elle et sur ses enfants. On les attrape, on les jette dans des caisses percées de trous, on les emmène. Demain, ils se retrouveront dans un centre d’élevage.

Après-demain, ou plus tard, un avion les emportera pour toujours dans une cage minuscule vers l’Allemagne, la France ou les Etats-Unis, à supposer qu’ils survivent au froid et au bruit des soutes. Une autre cage métallique, vide de tout objet et plus petite encore attendra chacun d’eux, d’où chaque matin, des hommes vêtus de combinaisons de caoutchouc viendront les prendre sans état d’âme afin de leur imposer les plus extraordinaires tortures qu’un sadique puisse imaginer.
Celles-ci finiront d’abord par briser la raison de la petite famille de singes – car la douleur rend fou – puis mutileront jusqu’au trépas leurs pauvres petits corps jetés dans une poubelle. « Pour les besoins de la science », dit-on.


Chaque année, l’Ile Maurice capture en forêt près de 15.000 macaques crabiers et en expédie plus de 7.000 vers les laboratoires pharmaceutiques pratiquant la vivisection ou des études sur les désordres mentaux
.
Le trafic est juteux, la concurrence est rude, mais tant qu’il restera des macaques sauvagement arrachés à cette île qui est autant la leur qu’elle est celle des Humains, de leurs chats, de leurs chiens, de leurs pins ou de leurs platanes, les jeunes mariés se dorant au soleil le long de plages immaculées et qui qualifient pourtant de « paradisiaque» feront erreur.

Cet article d’Yvon Godefroid est paru dans les pages du quotidien « l’Express » (Maurice)


Annexes

Macaques et humains

Les macaques rhésus se sont exceptionnellement bien adaptés à la présence humaine et prospèrent aussi bien dans les villes que dans les villages.
Du fait de la disparition progressive de leur milieu naturel forestier, les macaques tirent jusqu’à 93 % de leur alimentation des ressources humaines. Omnivores, ils se régalent d’une grande variété de fruits et de légumes cultivés, mangent les ordures dans les zones fortement urbaines et volent parfois les passants ou pénètrent dans les habitations.
Les dévots des temples leur offrent du pain, des bananes, des arachides, des graines, des noix de coco, de la crème glacée ou du pain frit. Dans les zones moins urbanisées, les macaques se rabattent sur les fruits, les fleurs, les feuilles, les graines, les bourgeons, l’herbe, les racines, l’écorce, et complètent leur alimentation avec des termites, des sauterelles, des fourmis, des scarabées et des champignons. Les macaques rhésus mangent aussi des œufs d’oiseaux, des crustacés et des poissons.

En ville, les territoires des groupes se chevauchent et les individus ont des fréquences élevées de contacts intergroupes, qui se caractérisent par des interactions sociales généralement pacifiques. Dans tous les types d’habitat, l’alimentation et le repos sont les principales activités de la journée des macaques rhésus. Ils passent le reste de leur temps à voyager d’une ville à l’autre, à se toiletter, à jouer et à diverses autres activités. (8)

Macaques et communication

La communication vocale et gestuelle est fondamentale dans une société aussi complexe que celle des macaques rhésus.
L’expression du visage, les postures corporelles et les gestes sont autant de formes subtiles de communication non vocale et sont essentiels lors des interactions entre individus à courte distance.
Une expression faciale commune à toutes les espèces de macaques, comme chez le macaque rhésus, est le visage silencieux à dents nues. Chez les macaques rhésus, cette mimique est utilisée par un individu de rang inférieur lorsqu’il croise un supérieur. Une autre expression faciale communément utilisée dans les interactions de dominance est la « grimace de peur » accompagnée d’un cri. Il s’agit là d’apaiser rapidement une agression ou de la réorienter. Les macaques dominants ouvrent la bouche en fixant silencieusement du regard, pour menacer les autres. Cette expression s’accompagne d’un déplacement de la queue qui se colle contre le corps du singe en position quadrupède. À l’inverse, la queue qui se soulève et exhibe les organes génitaux est un signe de soumission.

Les vocalisations des macaques rhésus comprennent des « coos » et des « grunts », qui sont des expressions couramment entendues lors des mouvements du groupe, pendant les interactions affiliatives, et quand un animal s’approche d’un autre pour se faire toiletter. Les « warbles », « arches harmoniques » et autres « chirps » sont émis dans le contexte d’une recherche d’aliments rares, de haute qualité. L’alarme la plus répandue chez les macaques, l’aboiement aigu, est lancée lors de situations menaçantes et se compose d’un seul son puissant et suraigu. Les vocalisations agressives incluent des « cris », des « hurlements », des « cris-menaces », des « grondements » et des « aboiements ». Les bébés ont leur propre répertoire de vocalisations qui sont des sons staccato durs entendus pendant le sevrage, qui ressemblent beaucoup aux cris de colère d’un enfant humain.

Vu son importance, la communication intraspécifique est enseignée par les mères macaques à leurs enfants. Une vidéo nous montre ainsi une mère faisant des gestes à son bébé de six jours.
Le type de gestes observés (mimique des lèvres et des dents, bavardage) est fréquent chez les macaques rhésus. Ce qui est frappant ici, c’est l’exagération du geste, accompagné de balancements du corps pour attirer davantage l’attention du nourrisson. Cela semble spécifique à la relation mère-enfant. L’exagération des manifestations faciales et d’autres modifications du comportement, comme un ton de voix plus aigu, est également notée chez la mère humaine et son nourrisson. Ce type de gestes est très courant pendant les trois premières semaines de la vie du macaque infantile. Cependant, leurs fonctions restent peu claires.

Certains macaques peuvent acquérir des accents différents selon l’endroit où ils vivent, tout comme les humains. Les macaques à face rouge du Japon (Macaca Fuscata) lancent souvent ce que les chercheurs appellent des appels «Coo» pour garder le contact entre eux. Les enregistrements de ces appels effectués sur une période de huit ans montrent que les macaques vivant à des centaines de kilomètres de distance « parlent » à des fréquences différentes. « Une des caractéristiques du langage humain réside dans sa modificabilité », a déclaré Nobuo Masataka, professeur de comportement animal à l’Institut de recherche sur les primates de l’Université de Kyoto, dans un courriel à National Geographic News. « Les vocalisations de singes japonais partagent cette caractéristique avec notre langage. »


L’Ile Maurice et les singes de laboratoire

Pre-Clinical Research Bill : les macaques de l’Ile Maurice au coeur de la tempête

Yvon Godefroid