Les cachalots forment des clans pour affronter les orques
Les attaques d’orques expliqueraient pourquoi les sociétés de cachalots diffèrent tant dans l’Atlantique et dans le Pacifique. Le poids de la prédation humaine et la destruction systématique de familles entières lors des chasses baleinières auraient également amené les survivants du génocide à se regrouper indépendamment de leur liens familiaux et à former des clans de vaste ampleur.
Attaque
« Le 18 avril 1985, nous avons été témoin d’une attaque d’orques d’une durée prolongée sur un groupe de cachalots.
Ceux ci, qui nageaient en ordre dispersé, cliquaient plongeaient et chassaient en profondeur très probablement, firent silence brusquement. Ils se rassemblèrent lentement en un groupe d’une trentaine d’individus étroitement serrés, chaque cachalot n’étant séparé de l’autre que par une distance de moins de 3 mètres.
Un bébé d’un an se tenait au centre de ce groupe de femelles, tandis qu’un énorme cachalot mâle nageait en périphérie.
Autour d’eux, entre 15 et 25 orques rôdaient, parmi lesquelles deux mâles de grande taille, un autre plus petit, et deux juvéniles. Les épaulards s’étaient également regroupés, par bandes de deux à sept individus, qui attaquaient à tout de rôle par le flanc ou l’arrière. Les orques plongeaient en arrivant à proximité du groupe de cachalots et restaient sous l’eau environ 3 minutes avant de battre en retraite.
Image extraite de « Sperm Whales, social evolution in the ocean » de Hal Whitehead
Les cachalots firent front. Contrairement à la « figure de la marguerite », où ce sont les puissantes caudales des mastodontes en cercle qui affrontent la menace, les cachalots se tournèrent vers leurs agresseurs. Ils semblaient même s’efforcer de garder leur tête dans la direction des orques.
Des coups de caudale furent donnés mais on pouvait entendre aussi d’intenses détonations de clics lors de chaque attaque.
Trois cachalots au moins furent blessés à la face, scarifiée par les morsures en râteau des orques, et le sang se mit à couler. Mais les dégâts s’arrêtèrent là et aucune perte ne fut à déplorer.
Après 2 heures de lutte, les orques ont quitté les lieux pour se diriger vers l’ouest. Les cachalots sont partis vers le nord-est à une vitesse constante de 9 à 11 km/heure. Ils gardèrent ctte allure pendant les cinq heures suivantes. Tous restaient silencieux, à l’exception du grand mâle qui lançait de temps en temps de longs trains de clics lents ».
Attaque de cachalots par des orques au Shri Lanka
Contre-attaque
Le cachalot, le plus grand des odontocètes ou « baleines à dents », possède le plus gros cerveau du monde.
Ces léviathans se nourrissent de calmars géants et d’autres créatures des profondeurs, qu’ils poursuivent et abattent grâce à leur sonar, le plus puissant connu chez un être vivant.
Les cachalots de deux sexes mènent des vies très différentes.
Les mâles quittent leur famille pour former des groupes de célibataires éphémères ou pour vivre seuls, alors que les femmelles développent des sociétés complexes avec multiples niveaux d’organisation. Au niveau le plus élémentaire de ces sociétés, on trouve des unités presque permanentes d’environ 10 femelles qui s’occupent de la progéniture commune et défendent leurs compagnes contre les attaques.
Mystérieusement, et bien que les sociétés de cachalots de l’Atlantique Nord et du Pacifique soient génétiquement identiques, leurs structures sociales sont fondamentalement différentes. Dans le Pacifique, les unités de femelles se regroupent souvent pour un temps donné avec d’autres unités du même clan voval. Ces groupes sont composés de milliers de femelles partageant des modèles distincts de clics vocaux connus sous le nom de codas.
Dans l’Atlantique, au contraire, il ne semble pas exister de tels clans vocaux. Les unités familiales se regroupent rarement avec d’autres. De plus, ces unités sont davantage familiale dans l’océan Atlantique, ces membres étant le plus souvent apparentés du côté de leur mère, bien plus que ceux du Pacifique.
Aujourd’hui, les chercheurs pensent que ces différences d’organisation sociale seraient dues à la menace des orques.
Sur les 10 attaques connues d’épaulards sur des cachalots, aucune n’a eu lieu dans l’Atlantique Nord, alors que six ont eu lieu dans le Pacifique Est, les autres ayant eu lieu en Antarctique et en Arctique.
Dans l’océan Atlantique, les épaulards semblent étrangement ignorer les cachalots.
On suppose que ce comportement est du à des habitudes culturelles de longue date, avec des préférences claires pour des proies spécifiques, même lorsque d’autres ressources alimentaires sont disponibles.
Les orques résidentes de la côte ouest des États-Unis et du Canada dédaignent ainsi le « mauvais saumon » et ne daignent manger que le saumon chinook, explique Hal Whitehead, biologiste marin et spécialiste des cultures cachalot à l’Université de Dalhousie.
De même, les orques de l’Antarctique dédaignent le « mauvais type de phoque » ne se concentrent que sur le phoque de Weddell, alors qu’il y a plein de phoques crabiers aux alentours. Les orques ont des goûts très précis mais aussi assez arbitraires.
Certaines cultures se sont donc spécialisées dans la chasse aux cachalots, et d’autres non, pour de lointaines raisons historiques.
En réaction, ce goût des orques pour la chair de cachalot dans le Pacifique a conduit les petites unités de femelles cachalots à se regrouper pour des raisons de sécurité. Et de fil en aiguille, cela les aurait amené à former des clans géants.
D’autres facteurs ont certainement contribué à créer ces variations culturelles, tel que l’environnement. Les cachalots de l’Atlantique chassent dans des eaux généralement plus chaudes et donc moins riches en nourriture que ceux du Pacifique. Le regroupement des unités sociales serait donc également lié à l’abondance des proies, bien que nous ne sachions pas grand chose sur les habitudes du calmar géant qu’ils chassent.
La chasse baleinière a sans doute eu un impact important dans la différenciation de ces cultures.
Les cachalots femelles qui vient aujourd’hui dans les zones d’observation de l’Atlantique n’ont pratiquement pas été touchés par la nouvelle chasse à la baleine usant de canons harpons, alors que ce massacre mécanisé fut particulièrement intense à l’Est du Pacifique.
La destruction de ces unités strictement familiales auraient amené les survivants du génocide à se regrouper indépendamment de leur parenté relative.
Sperm Whales Form Clans to Fight Off Orcas
By Charles Q. Choi, Live Science Contributor | April 11, 2012
Face à la prédation humaine, les cachalots ont évidemment déployé mille stratégies de fuite, de ruses et d’esquives.
Au premier temps de la chasse baleinière, les grands mâles contre-attaquaient et brisaient en morceaux les frêles embarcations. Mais il est un point faible chez eux que les humains ont appris à connaître : la solidarité.
Les chasseurs de baleines avaient donc coutume d’harponner ainsi un bébé cachalot, mais sans le tuer. Tous les adultes se regroupaient alors autour de l’enfant pour le protéger. Il suffisait ensuite de tuer chaque membre du groupe un à un, car aucun ne fuyait ni ne voulait abandonner les autres…
La Russie a continué à massacrer des milliers de cachalots bien après le moratoire, dans ce qui fut le plus vaste génocide d’un peuple non-humain de toute l’histoire