La vie des dauphins mâles et l’histoire de Beachie
1. LA VIE EN EN LIBERTE
Une bande d’amis dauphins s’amusent à faire la course avec un bateau, dans le Golfe de Floride. Ce sont des Tursiops truncatus aux larges nageoires, parfaitement adaptés à la vie côtière, à la faible profondeur des fonds et au climat chaud. Et c’est d’ailleurs à cause de cela que nos delphinariums européens les ont tant apprécié : leur remarquable résilience et leur capacité de survie dans des bassins absurdement petits désinfectés au chlore.
Notons d’ailleurs que ces dauphins que nous voyons nager libres sont de la famille de Winter et de Hope, les 2 poules aux oeufs d’or du Cleawarter Aquarium.
C’est un trio. Une alliance de premier degré, un gang de joyeux drilles couvrant chaque jour des kilomètres pour séduire les jolies delphines des clans voisins. Ils resteront longtemps ensemble, parfois même toute leur vie.
D’abord, on en voit un qui prend l’initiative et se lance hors de l’eau par bonds puissants et harmonieux. Très vite, ses potes le rejoignent et se lancent le défi : « Chiche qu’on le rattrape, ce bateau-là !».
Leurs bonds respirent la joie, l’innocence, l’amitié et la rigolade.
« Des alliances à degrés multiples s’établissent parmi les mâles lorsqu’ils s’affrontent pour s’unir aux femelles.
Celles-ci ne sont pas confinées sur un territoire donné, comme chez d’autres mammifères sociaux, mais se déplacent au contraire sur de vastes espaces qui se chevauchent.
2 ou 3 dauphins vont former une première alliance très soudée sur le long terme afin de maintenir et d’engrosser une seule femelle. Ces paires ou ces trios vont à leur tour former une seconde alliance avec d’autres groupes de 2 ou 3 mâles au sein d’un ensemble de quatre à quatorze individus qui n’ont entre eux aucun lien familial. Ce groupe de second niveau coopérera pour défendre ses propres femelles ou pour attaquer d’autres groupes et leur voler leurs femmes. De telles alliances peuvent durer plus de quinze ans.
Enfin, ce super-groupe pourra constituer une coalition de plusieurs groupes du même type, toujours afin d’affronter leurs concurrents organisés sur le même mode. Nous aurons donc une alliance A alliée avec une alliance B pour attaquer une alliance C à certaines occasions, mais qui pourra s’allier à C pour attaquer une alliance C à un autre moment. Et là, cela devient vraiment très compliqué »(Richard Connor).
Les dauphins de Floride présentent en outre une structure sociale « fission-fusion » caractérisée par des associations temporaires d’une durée de quelques minutes à plusieurs heures. Ces modèles de regroupement flexible dans lequel les dauphins s’associent constamment de manière différente, impliquent qu’ils doivent être en mesure de se retrouver les uns les autres, lorsqu’ils sont séparés par de longues distances. Ces distances doivent cependant être à portée de communications.
La décision d’un dauphin de rejoindre ou de quitter un groupe est lié à diverses considérations sociales, telles que la classe d’individus concernés (les mères avec leurs petits, les femmes célibataires adultes, les mâles adultes et les juvéniles ). Chaque dauphin se déplace dans des environnements sociaux différents.
La décision est également influencée par les caractéristiques écologiques de l’habitat occupé. Ainsi, les mères avec enfants préfèrent résider de façon régulière dans les eaux profondes. Elles y entretiennent des relations avec d’autres femelles dans la même situation et qui leur sont associées. Ces mêmes mères, quand elles viennent à nager dans des eaux peu profondes, rencontreront des juvéniles avec lesquels elles n’auront que peu de contacts.(…)

Bottlenose dolphin, Tursiops truncatus, catching leaping striped mullet, Mugil cephalus. West Coast of Florida, USA
2. LA VIE EN CAPTIVITE
A Bruges, Beachie dort sur le fond de la piscine, foudroyé d’ennui.
Né libre en 1982, « sauvé » d’un échouage en avril 1984, il fut envoyé au Sea World d’Orlando le 27 avril 1984. Il quitta cette entreprise le 8 juin 1997 pour être déporté au Dolfinarium de Harderwijk, aux Pays-Bas. Le 18 septembre 2009, il fut envoyé enfin dans les bassins de Bruges. Beachie avait été un bon étalon avant le Boudewijn Seapark. A SeaWorld et Harderwijk, il engendra Marble (1997 – ), Sal’ka (1998 – ), T’lisala (2001 – ), Amtan (2001 – ), Palawas (2004 – ), Spetter (2005 – ) et Kite (2005 – ).
Mais une fois en Belgique, il ne donna plus qu’un enfant mort-né à la petite Yotta en 2010, des jumeaux également morts-nés à la plus mûre Roxanne en 2011, puis encore un bébé décédé au bout de 4 jours à la même Roxanne.
Son contexte de vie largement dégradé y est sans doute pour quelque chose.
En 2009, Beachie a donc été amené au Boudewijn Seapark à Bruges dans le cadre d’un programme d’élevage international (EEP).Il faut savoir que les EEP sont supposés assurer la sauvegarde d’une espèce menacée ex situ, tels que tamarins dorés, panthères de l’Amour, éléphants de Sumatra etc. Le Tursiops est une espèce jugée peu menacée par l’IUCN. Il n’est en outre jamais réhabilité par les delphinariums. Ceux-ci trahissent donc l’esprit même de ces programmes européens de reproduction. L’éducation déficitaire et les recherches inutiles se sauraient justifier légalement l’élévage de dauphins captifs, puisqu’elles ne contribuent en rien à la conservation de l’espèce.
Seules des femelles et des jeunes vivaient à Bruges depuis la mort de Tex, ce qui rendait, paraît-il, indispensable l’arrivée d’un mâle nécessaire à ce programme de reproduction de ce qu’il faut bien appeler des « bêtes de cirque ». Notons que ni Beachie, ni les résidentes du cirque aquatique flamand n’avaient fait le choix de se rencontrer. Le groupe allait devoir une fois encore se voir remodélé par la main de l’homme.
Une semaine avant le déménagement de Beachie, des dresseurs experts du Boudewijnpark se rendirent à Harderwijk pour voir comment travaillait Beachie, quels étaient les tours qu’on pouvait lui demander et comment il avait été dressé à participer aux examens médicaux. Dans la matinée du 19 Septembre 2009, le dauphin fut déplacé à Bruges en compagnie de 5 employés de Harderwijk et de ses nouveaux maîtres.
Beachie fut transporté dans un hamac suspendu dans une caisse. Il est arrivé à Bruges dans l’après-midi pour être aussitôt dans le bassin à l’arrière du delphinarium. Durant toute la première semaine après le déménagement, un dresseur de Harderwijk demeura à Bruges pour aider à l’intégration de Beachie au sein du groupe et conseilller l’équipe de Bruges.
Les 4 premiers jours, Beachie est resté dans le bassin du fond, séparé du groupe par un simple filet.
Cela lui permit d’entendre et de voir ses nouveaux compagnons de cellule. Ensuite, le mâle fut présenté aux 5 résidents.
Dans un premier temps, il entra en contact avec Roxanne, l’une des trois femelles adultes, tandis que les autres restaient séparés de lui dans le bassin destiné au spectacle.
Aujourd’hui, Beachie a fini par s’entendre avec les « femelles de haut rang », Roxanne, Yotta et la vieille Puck.
Les jeunes Indy et Ocean – déjà 10 ans ! – ont peur de lui. La dominance en bassin est absolue, car il n’y a ni moyen de s’enfuir ni de créer des alliances.
Par rapport à ce que Beachie a connu dans son lagon à ciel ouvert hollandais, le bassin du delphinarium n’est pas grand. Profond de 6 mètres en un certain point, sa longueur est de 40 mètres. A droite et à gauche du bassin, se trouve 2 enclos d’isolement. Derrière le décor en carton-pâte, se trouve un autre bassin plus large profond de 4 mètres. Cet espace était destiné à l’origine aux otaries. Elles y retournent en hiver. En été, elles sont logées au Théâtre des Otaries.
Beachie dut aussi apprendre à obéir de façon différente.
A Harderwijk, tous les dauphins à la fois reçoivent l’attention des dresseurs. A Bruges, les animaux doivent rester calmes au pied de l’entraîneur jusqu’à ce qu’ils reçoivent chacun des instructions à exécuter. Pour Beachie, au début, ce fut difficile d’attendre son tour. Il sautait souvent hors de l’eau, très excité et avait du mal à garder son sang-froid. On l’a maté.
Pour le spectacle, on lui demanda d’abord de montrer les tours appris à Harderwijk.
Ensuite, il apprit à jeter des ballons aux enfants et à faire des sauts périlleux. Cette formation avait déjà commencé à Harderwijk, mais n’avait pas encore été achevée. On se demande dès lors ce qu’il a bien pu apprendre à SeaWorld, durant tout le temps où il y a séjourné après son « sauvetage ».
Pour Beachie, pas mal de choses ont changé. Il a longtemps vécu dans le DolfijndoMijn à Harderwijk, parmi un groupe d’autres mâles.
Au Boudewijnpark, notre étalon partage désormais l’espace exigu des bassins avec 3 jeunes, dont un mâle maigrichon, et 2 femelles plus âgées que lui. En outre Beachie n’a plus la possiblité de sortir à l’air libre, ni de ressentir le soleil sur sa peau, dans une eau de mer où peuvent survivre des poissons. Le delphinarium de Boudewijnpark est complètement recouvert par un dôme. Ses eaux sont entièrement artificielles. (Informations extraites d’une interview du chef-dresseur de Bruges, Sander van der Heul, sur le site professionnel du Dolfinarium de Harderwijck).
Est-il seulement nécessaire de conclure ?
La simple juxtaposition de ces deux modes de vies ne suffit-elle pas à condamner une pratique commerciale qui ne devrait plus exister en Europe : l’exhibition de dauphins vivants ?