
Hyack regarde les images d’un livre à l’Aquarium de Vancouver
L’orque Hyak aimait tant regarder des images…
En 1987, John Ford, le responsable des mammifères marins à l’Aquarium de Vancouver (Colombie Britannique) était en train de travailler à son bureau, dont les trois larges baies vitrées offrent une vue sous-marine directe sur le bassin des orques.
Un livre, intitulé «Les baleines tueuses», co-rédigé par Ford, Mike Bigg, Graeme Elis et comportant des photos de Ken Balcomb, était tombé de la table juste devant l’une de ces fenêtres. John remarqua alors que Hyak, l’une des orques captives détenues dans le bassin, ne quittait pas le livre des yeux.
Il fit part de ce comportement à ses amis et collègues et finalement, une équipe de télévision se déplaça même pour filmer Hyak qui regardait des images.
« J’étais personnellement très intrigué par ce comportement et commençai à rencontrer Hyak en 1988. Je devins vite un visiteur régulier de l’Aquarium : au moins une fois, sinon deux fois par mois, je me rendais sur place et y passai la journée entière.
J’avais pris l’habitude d’apporter des tas de photos avec moi : mes propres dessins et photographies, mais aussi des illustrations d’orques tirées de divers ouvrages, de magazines et d’oeuvres d’autres artistes et photographes.
J’amenais tout ce matériel dans une solide valise en métal sur laquelle était collé un large auto-collant à l’image d’une orque.
Ce logo était visible de loin ! Je posais la valise tout près de la vitre de sorte que Hyak pouvait apercevoir l’autocollant de n’importe quel endroit de son bassin.
Dès l’instant où il s’avisait de sa présence et quel que soit l’endroit où je puisse me trouver, l’orque fonçait tout droit vers la vitre. Je pouvais alors commencer à lui montrer toutes les images que j’avais apporté ce jour-là.
Je disposais de toute l’attention de Hyak : celui-ci était véritablement en transe lorsqu’il regardait ces photographies et ces illustrations. Pourtant, le seul stimulus pour l’orque était d’ordre purement visuel, juste des images à contempler pour satisfaire son esprit. Il ne recevait pas de récompense ou quoi que ce soit en échange de ce comportement spontané qui consistait à regarder à travers une vitre.
Cela durait environ trente ou quarante minutes, jusqu’à ce que Hyak reçoive le signal de ses dresseurs que le show allait commencer et qu’il fallait se tenir prêt.
L’orque s’en allait alors rejoindre ses compagnons pour se livrer aux acrobaties requises. A la fin du spectacle, toutes les orques faisaient trois fois le tour du bassin en adoptant la formation en échelon.
Ensuite, elles avaient à nouveau quartier libre jusqu’au prochain show.
Aussitôt que celui-ci s’était achevé, Hyak se précipitait près de la vitre pour voir où j’étais passé pendant ce temps.
Je m’avançai souvent au moment où les cétacés nageaient encore en formation. Hyak ne brisait pas les rangs mais je le voyais regarder frénétiquement de mon côté et me chercher du regard.
Lorsque les trois tours finaux étaient exécutés, il se précipitait près de la vitre où il m’avait vu la dernière fois. De toute évidence, il était impatient de savoir ce que je l’allais encore pouvoir lui montrer !
J’étalai tout mon petit matériel sur le sol et je le triais sous ses yeux.
Si je commençais par une photographie extraite du magazine «National Geographic», il pouvait la fixer longuement, l’étudier pendant une minute ou deux ou ne pas s’y intéresser du tout.
S’il n’était pas intéressé par l’image, il l’observait pendant moins d’une seconde puis il relevait la tête et me regardait dans les yeux.
C’était le signal convenu pour que je pose la photo ou le dessin suivant contre la vitre.
Il lui arrivait parfois de contempler longuement des illustrations minuscules, de quelques centimètres, quand elles l’intéressaient.
Son oeil se trouvait à trois centimètres de la vitre épaisse de dix centimètres sur laquelle l’illustration était pressée depuis l’intérieur du bureau où je me trouvais.
Nous étions donc très proches l’un de l’autre.
Hyak restait immergé environ cinq ou six minutes, puis il remontait respirer en surface pour redescendre aussitôt et reprendre sa place devant mes livres ouverts.
Notre ami ne manifestait aucune curiosité devant les images de maisons, d’avions, de chevaux, de voitures ou de camions, toutes choses qu’il ne pouvait relier à rien de connu. Mais si vous lui montriez l’image d’une autre orque ou d’un saumon, il pouvait
rester de longues minutes à l’étudier minutieusement.
C’était devenu un grand plaisir pour moi que de lui apporter sans cesse de nouvelles choses qui puissent exciter son intérêt.
Pendant un moment, Hyak fut le seul à s’intéresser aux images.
Puis il fut rejoint par Finna, le plus jeune mâle du bassin, qui se rapprochait parfois et venait surtout voir ce qui pouvait passionner Hyak à ce point-là.
Mais cela ne dura pas très longtemps.
La femelle dominante, Bjossa, semblait un peu ennuyée de nous voir distraire ainsi Hyack.
Une fois, elle descendit près de lui et le repoussa loin de la vitre. Elle regarda très rapidement ce que nous étions en train de montrer puis nagea plus loin aussitôt. Hyak garda ses distance un moment puis revint près de nous dès que Bjossa cessa de se soucier de lui.
Chose étonnante, on sut bientôt dans tout l’Aquarium que Hyak se passionnait pour les images.
Parfois, lorsque j’arrivais, je trouvais toute une bande d’écoliers qui agitaient leurs dessins devant la vitre du bassin tandis que notre orque passait de vitre en vitre et regardait leurs oeuvres une à une.
Désormais, tous ceux qui visitaient Hyak lui apportaient des dessins : plutôt que d’aller voir les orques, ils amenaient quelque chose à voir pour les orques !
Hyak se comportait avec ces enfants comme il le faisait avec moi : s’il aimait l’image qu’on lui montrait, il restait devant un certain temps et l’étudiait en détail. Sinon, il relevait la tête, cherchait le regard de celui qui tenait le papier et la fixait jusqu’à ce qu’elle lui montre quelque chose d’autre.
Les autres orques était son sujet favori.
Une simple image de «spy hopping » (juste la tête hors de l’eau) n’était pas assez lisible pour qu’il s’y arrête mais s’il pouvait voir l’image de l’orque en entier, alors, il semblait fasciné.
Certains de ces dessins étaient réalisés sur le mode pointilliste : un ensemble de petits points qui figuraient une forme.
Il adorait ces dessins-là, fourmillant de détails où il reconnaissait une image d’orque. Son esprit était tout à fait plongé dedans.
J’ai continué à montrer des photos et de dessins à Hyak jusqu’à sa mort en 1991. (à l’âge de 24 ans, dont 22 passés en bassin).
Malheureusement, il décéda bien avant que nous n’ayons pu mener ces expériences de manière plus complète. J’aurais voulu augmenter encore le degré d’abstraction des dessins et voir à quel moment Hyak pouvait reconnaître les formes de l’orque dans de simples contours clairs-obscurs.
C’était un cétacé très spécial.
Il était né en tant qu’orque résidente du Nord du Canada et devint trilingue avant de mourir en 1991.
Lorsque Hyak fut capturé en 1968, l’Aquarium de Vancouver possédait déjà une orque femelle enlevée au Pod K, lequel vit au sud de Vancouver. Durant toutes ces années de captivité, Hyak a donc appris le langage des «gens du sud », le dialecte du K-Pod.
En 1981, le même Aquarium fit l’acquisition de deux orques capturées en Islande et Hyak apprit cette fois le « dialecte des gens d’Islande ».
La manière dont fut traité son corps après sa mort n’est pas très sympathique.
Je doute qu’on oserait encore agir de la sorte aujourd’hui. Le personnel de l’aquarium emmena son cadavre dans le détroit de Georgie et on essaya de le faire couler. Mais la marée repoussa le corps sur la rive.
Alors on tailla le corps du jeune Hyak en morceaux, en espérant qu’ils coulent. Mais les morceaux de chair et d’entrailles furent à leur tour rejetés sur la plage…
C’est une sale manière d’en finir avec ce cétacé qui fut un ami.
On aurait pu au moins conserver son squelette mais ce n’est pas ce qu’on fit de lui. Âgé de 24 ans seulement, Hyak mourut bien avant son temps de vie normal, tout ce temps qu’il aurait vécu si on ne l’avait pas capturé. J’espère qu’on traitera de manière différente les corps des prochaines orques qui mourront en captivité…
Un texte de Kelley Balcom-Bartok extrait de » Whale tales : human interactions with whales ». Friday Harbor Edtion. Washington USA 1996
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Kelley Balcom-Bartok est le fils de Ken Balcom.
Photographe animalier de renom, il est également responsable de la remarquable association Center for Whale Research, essentiellement dévolue à l’étude des capacités cognitives et des comportements sociaux chez les orques. Il a été le conseiller technique des films Free Willy et Free Willy 2.