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Globicéphales aux Iles Féroé : ce sont des familles qu’on assassine

Globicéphales aux Iles Féroé : ce sont des familles qu’on assassine

Les massacres de globicéphales noirs viennent de reprendre aux Iles Féroé.
A vrai dire, le Grindadràp ne cesse jamais vraiment, là-bas, mais l’été est la meilleure saison de chasse pour les descendants des Vikings qui peuplent cet archipel aux confins de l’Europe. Durant les mois les plus chauds, les femelles enceintes se rapprochent en effet des côtes pour accoucher. Et c’est alors qu’on les tue, elles et toute leur famille.

Le Grind est réglementé par les autorités des îles Féroé.
Environ 800 globicéphales à longues nageoires et quelques dauphins à flancs blancs sont abattus annuellement, principalement pendant l’été. Les chasseurs encerclent d’abord les globicéphales avec leurs bateaux, ne leur laissant que la plage pour fuir. Lorsque les cétacés s’approchent du rivage, la foule se jette à l’eau et les tue un à un. Il n’y a aucun survivant, aucun animal épargné.
Le grindadráp est une activité festive non commerciale, organisée au niveau communautaire. Toute personne disposant d’un certificat de formation pour l’abattage d’une baleine-pilote à l’aide d’une lance adaptée à trancher la moelle épinière peut y participer. Ce n’était pas nécessaire auparavant mais du fait des critiques constantes des organisations de protection animale, le peuple féroïen prétend avoir amélioré les techniques de mise à mort afin de les rendre plus humaines.
Notons tout de même que la loi Grind n’a été mise à jour qu’en 2015.

Comme chaque année, les mêmes images de globicéphales terrifiés se précipitant sur une plage, les mêmes vidéos de brutes hilares pataugeant dans une mer de sang et plantant leur pieu dans la tête des victimes, tournent en boucle à l’envi sur les réseaux sociaux.
Comme chaque année, les médias se font le relais de ces fêtes barbares, en évoquant une « chasse controversée » et une tradition, certes désolante, mais une tradition tout de même qui remonte au-delà du Moyen Age. N’est-ce pas là un patrimoine sacré ?
Car enfin, rappelle-t-on, l’espèce n’est pas en danger !

« Pour les Féroïens il n’y a là rien de grave.
Aux yeux de cette population de 50.000 habitants, la chasse est pratiquée avec des matériaux naturels qui assurent aux cétacés une mort rapide et sans souffrance. Les habitants de cet archipel expliquent aussi qu’ils vivent essentiellement des exportations et de la pêche et qu’ils disposent des droits naturels que leur offrent leurs îles. Ils assurent enfin qu’il n’y a aucun impact environnemental et que sur 100.000 cétacés vivant à proximité de leurs îles, seuls 800 sont tués chaque année »
.

Bien entendu, ce genre d’arguments est aussi obscène que si l’on disait : « Vous savez, si le virus Ebola décime toute une province du  Congo et qu’il en reste là, ce n’est pas trop grave. Dans cette région, l’espèce humaine est très abondante et son taux de natalité excellent. Les populations vont se reconstituer très vite ».
Mais encore faut-il savoir QUI l’on tue, et souvent, les globicéphales nous apparaissent comme une masse de grands corps gris mutilés tous semblables. Ces baleines pilotes sont loin d’être aussi populaires que les dauphins Tursiops avec leur beau sourire à la Flipper.
Pourtant, à l’instar des éléphants, des grands singes, des humains ou des perroquets, cette espèce a choisi la voie évolutive des gros cerveaux, de l’intelligence et de la vie sociale collaborative pour survivre aux dangers du monde.

Qui sont ces baleines pilotes qu’on massacre ?

A vrai dire, nous ne savons pas grand chose des globicéphales noirs.
Leur mode de vie est connu dans les grandes lignes mais aucun suivi individuel et familial n’a encore été réalisé sur le très long terme, comme à Sarasota, à Shark Bay ou en Colombie Britannique, où chaque cétacé porte un nom de code scientifique et reçoit souvent un surnom en prime.
Le problème, c’est que nos « baleines pilotes » ne sont pas les paisibles dauphins résidents de Floride ou les orques de la Salish Sea. Elles se déplacent en haute mer, voyagent sans cesse et plongent si profond qu’aucun nageur humain ne pourrait les suivre.

La société des globicéphales noirs de l’Atlantique se compose d’un ensemble d’unités familiales très stables comptant de 10 à 20 individus. Ces unités se forment autour des femelles adultes et de leurs descendants et leur réunion en assemblées plus vastes peut regrouper alors des centaines de ces cétacés.
Des analyses génétiques menées sur des globicéphales tués aux Iles Féroé ont révélé que la plupart des victimes étaient issues de la même famille maternelle, ce qui confirme la nature matrilinéaire de leurs unités sociales.
Une autre étude réalisée au large de l’île du Cap-Breton entre 1998 et 2011 nous apprend que la société des globicéphales locaux se structure ainsi en 21 unités sociales stables d’année en année, comptant en moyenne 7 membres des deux sexes.
Tout le contraire donc des sociétés fission-fusion des dauphins de Floride !

Comme chez les orques, les mâles adultes quittent le cocon familial pour aller se reproduire ailleurs.
Puis ils retournent bien vite chez leur maman. Ils se battent assez brutalement avec des rivaux d’autres clans, mais quand le danger survient, ils sont là tous ensemble pour protéger leur famille des prédateurs. Les jeunes mâles prennent d’ailleurs une part active dans le gardiennage des plus petits laissés seuls en surface, tandis que les parents plongent pour de longues minutes dans les abysses à la recherche de céphalopodes.
De manière générale, les globicéphales sont de bons voisins. De nature paisible et amicale, ils socialisent volontiers avec les dauphins Tursiops, les dauphins à flancs blancs de l’Atlantique et les dauphins de Risso.  Ils n’hésitent pas non plus à approcher les bateaux et à entamer le dialogue avec ses occupants bipèdes.

Les femelles ménopausées jouent un rôle majeur dans cette société.
Dès lors qu’elles ne peuvent plus avoir d’enfants elles-mêmes, elles continuent à allaiter ceux des autres et à s’investir dans leur éducation. Les échouages dramatiques qui jettent des centaines de globicéphales sur les plages d’Australie, sont sans doute la conséquence de ces liens très forts, de cette dévotion de tous à l’égard des anciens. Quand une matriarche s’échoue, tout le groupe la suit dans la mort et refuse même d’être sauvé.

La cohésion d’une telle société coopérative et altruiste suppose des moyens de communication sophistiqués.
C’est bien le cas.
Les globicéphales utilisent de nombreux types de sons différents. Une grande partie de leur répertoire vocal est constitué d’appels produits au sein de séquences répétées sur une large gamme de fréquences, allant de moins de 1 kHz à environ 20 kHz.
Outre les grincements, sifflements, bourdonnements et autres appels destinés à transmettre des messages dont nous ignorons le sens, ils produisent également des clics d’écholocation rapides qui leur permettent de voir dans l’obscurité des profondeurs.

Ce sont des familles qu’on assassine

Les delphinariums ne nous ont pas appris grand chose sur les globicéphales, sinon qu’ils peuvent casser des vitres quand ils deviennent fous.  On en trouve quelques uns aux Etats-Unis et bien sûr au Japon, mais leur taille imposante les rend peu maniables. Aussi, quand un troupeau de baleines pilote tombe dans les filets des tueurs de Taiji, rares sont celles qui sont épargnées pour finir leur vie en bassin.
Mais nous savons qu’ils comptent parmi les animaux les plus intelligents au monde, qu’ils sont conscients d’eux-mêmes et qu’ils éprouvent des émotions complexes.

Une mère globicéphale en deuil portant le corps de son bébé. Deux amies l’entourent et la soutiennent.

Ce à quoi nous assistons chaque année aux Féroé, c’est donc à la mise à mort de familles entières, d’amis et de parents. On peut imaginer sans peine ce que peuvent ressentir ces êtres si sympathiques et bons quand les cris de joie des hommes se font entendre depuis le rivage et qu’on les pousse dans cette direction. On peut difficilement concevoir par contre l’intensité atroce du désespoir qui saisit chacun d’eux à l’idée de la mort des autres !
Mais ce à quoi nous assistons, c’est aussi la mise à mort de cultures non-humaines subtiles dont nous ne saurons jamais rien.
Comme les dauphins de Shark Bay, de Cedar Keys ou de Sarasota, chaque communauté de globicéphales a certainement développé ses propres dialectes et ses traditions de pêche.
Et ces millénaires de sagesse non-humaine, scrupuleusement transmise de matriarche à matriarche, s’achèvent sous les coups de lance de brutes sanguinaires qu’on peine à qualifier d’humains.
A chaque Grind, c’est une famille, c’est un village, ce sont des GENS qu’on assassine !

Qu’y avait-il dans ce cerveau qu’il perce, quelles pensées, quelle mémoire ?

 


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Yvon Godefroid