
Denise Herzing et son appareil de communication parmi les dauphins tachetés des Bahamas
Decoding Dolphin Talk: Are We Smart Enough?
Décoder le langage des dauphins : sommes-nous assez intelligents ?
02/13/2014
Nous autres, les humains, nous avons toujours désiré pouvoir «parler» aux dauphins, d’aussi longtemps qu’on se souvienne.
Ils nous séduisent par leur intelligence, leur curiosité, leur joie de vivre et le niveau sophistiqué de leur vie sociale. Intuitivement, nous sentons qu’il y a de nombreux niveaux de complexité dans la communication chez les dauphins – comme il en existe dans leur esprit – mais nous n’avons pas encore réussi à transformer cette intuition de manière significative et productive en une communication bidirectionnelle avec eux.
Comme Denise Herzing l’admet dans sa passionnante conférence TED intitulée « Pourrions-nous parler le langage des dauphins? », nous n’avons pas de pierre de Rosette. Mais pourquoi ? Assurément, si nous sommes capables de voyager vers Mars, de guérir les maladies et de créer des symphonies, nous devrions être en mesure de comprendre ce que disent les dauphins. En fait, malgré les moyens sophistiqués et la haute technologie que nous mettons en oeuvre dans nos recherches, il est tout à fait possible que nous ne puissions jamais communiquer avec eux de la façon dont nous le voulons.
Quand nous tentons de décoder le delphinais, nous voulons dire que nous aimerions être en mesure de procéder à un échange d’informations qui ressemblerait à quelque chose comme ceci :
«Qu’est-ce que tu fais » – « Je me prépare à apprendre à mon enfant comment trouver du poisson dans le sable avec son écholocation. » – « Oh, ça a l’air chouette (That sounds great) « – et ainsi de suite. Une simple conversation comme celle-là est encore bien au-delà de notre portée !
Le travail pionnier de Herzing se distingue par le fait qu’il intègre les composants d’études antérieures sur la communication des dauphins captifs menées par d’autres scientifiques de renom.
Ceux-ci utilisaient, par exemple, une interface basée sur les coups de sifflets, un clavier tactile et un ordinateur, etc. intégrés dans le cadre des comportements naturels de ces animaux.
Mais notre espèce est-elle vraiment assez intelligente pour comprendre un système de communication qui non seulement, peut s’avérer aussi complexe que le nôtre, mais qui se fonde sur des principes et des dimensions acoustiques différentes ? Notre compréhension ne va-t-elle pas frapper un « plafond de verre » ?

Le plongeur montre aux dauphins un objet, qu’un son sifflé désigne en langage artificiel.
Le langage humain se compose d’un vocabulaire et d’une syntaxe. La syntaxe détermine la structure d’une langue et la façon dont le vocabulaire se modifie pour créer de nouvelles significations. Le vocabulaire est plus direct : il est plus facile, pour ceux d’entre nous qui étudient une seconde langue, d’apprendre les mots de vocabulaire en connectant le mot avec un objet. La syntaxe est tout autre chose et beaucoup plus difficile, comme toute personne qui a tenté de manier correctement la conjugaison des verbes en espagnol vous le dira !
Notre aisance relative avec le vocabulaire est analogue à notre capacité à apprendre le lexique de la communication chez le dauphin.
Comme le souligne justement Denise Herzing, les signatures sifflées des dauphins sont ce que les chercheurs ont étudié le plus – pour la raison même qu’ils sont faciles à mesurer.
Mais la communication chez les dauphins comprend également la posture du corps, le toucher et différentes variables acoustiques comme l’écholocation, les sifflements et les sons pulsés. Et nous pouvons interpréter les sons directement corrélés avec des individus, des comportements spécifiques ou des contextes spécifiques, plus facilement que les sons qui semblent varier d’une situation à l’autre. Cela tient au fait que le cerveau humain est très bon pour saisir les modèles de corrélation.
Nous sommes tellement bons à associer les « ceci » avec les « cela » que nous créons souvent des faux positifs connus comme des corrélations illusoires.
Dès lors, les appels de contact, les appels d’alarmes, les signatures sifflées et d’autres sons en correspondance avec un comportement ou un contexte particulier seront les premiers à révéler leurs secrets parce qu’ils ressemblent davantage au vocabulaire d’une deuxième langue humaine.
De même, nous sommes très bons à enseigner les paroles humaines à d’autres espèces comme les dauphins, les oiseaux, les grands singes et les chiens. Une partie de notre succès dans ce domaine tient au fait que cette tâche est facile pour nous.
Ce que nous ne connaissons pas, en revanche, c’est la nature fondamentale de la communication chez les dauphins.
Est-elle dimensionnelle, fonctionne-t-elle par catégories ou est-ce une combinaison des deux ? Et nous ne savons pas non plus si les dauphins en combinent les composants d’une manière étrangère à notre expérience et donc invisible pour nous. Les sifflements ont été échantillonnés, mis en statistiques et analysés ensuite afin de déterminer si certains types de sifflement pouvaient être prédits à partir du même son ou d’un autre type de sifflements. Les résultats montrent que les répertoires sifflés des dauphins contiennent une structure interne d’ordre supérieur, une complexité organisationnelle.
Cela laisse à penser que leur langage sifflé contient des éléments vaguement analogues à la grammaire ou à la syntaxe du langage humain.
Durant son exposé, Denise Herzing nous montre deux spectogrammes comparés, d’un côté celui de mots parlés du langage humain et de l’autre celui des sons pulsés (burst pulsed sounds) produits par un dauphin.
Qui pourrait faire la différence ?

Dolphin versus human spectrograms. From Herzing TED presentation, 2013
Donc, nous savons qu’il y a une grande complexité dans la communication des dauphins, mais nous n’en connaissons pas le contenu, ni la profondeur ni la nature pour l’essentiel. Mais indépendamment du fait de savoir si nous sommes ou non assez intelligents pour réussir à «décoder» ce langage, il est important de se souvenir que nous continuons à faire la sourde oreille aux messages les plus importants qu’ils nous envoient. Ceux qui nous disent la détresse, le mal-être, le traumatisme psychologique et la mortalité élevée des dauphins capturés, confinés dans des bassins pour exécuter des shows.
L’un de mes collègues disait que si seulement les dauphins tués chaque année à Taiji ou aux îles Féroé pouvaient dire quelque chose comme : « Arrêtez ça. Vous me faites mal! », tous les abus commis sur eux cesseraient sans doute aussitôt, à cause du choc que provoqueraient ces mots prononcés par les victimes.
Malheureusement, nous n’avons pas fait le même effort pour «décoder» la dignité des dauphins et de leur personne. Et cela vaut certainement quelques études.
Lori Marino

Un dauphin tacheté prisonnier à Taiji communique avec une visiteuse
Notons que Fabienne Delfour a participé aux recherches de Denise Herzing. Mme Delfour est la directrice scientifique du Parc Astérix où, récemment encore, un enfant dauphin a été tué par une femelle en colère.
Comment cette femme peut-elle encore revenir devant ces bassins et gérer d’un œil froid des dauphins forcés par la détention et le dressage de ne plus être que des chiens ?