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Dauphins captifs en Wallonie

Une photo rare du delphinarium de Walibi à Wavre, Belgique.

Dauphins captifs en Wallonie
 Archives 1976-1984

Dès 1976 et jusqu’en 1984, plusieurs dauphins Tursiops ont été détenus en Wallonie, dans le parc d’attractions de Walibi, situé près de la ville de Wavre, à une vingtaine de kilomètres de Bruxelles.
Ce parc fut créé par un ancien « Belge du Congo » du nom d’Eddy Meeus. Racheté par  Six Flags Belgium, ce centre de loisirs familial très populaire en Belgique, est passé aujourd’hui dans les mains de la Compagnie des Alpes, laquelle est tout à la fois propriétaire de parcs de loisirs, mais aussi de prisons pour cétacés.

Quant aux  dauphins qui y ont été incarcérés, il s’agissait de  Boy, Léo, Missy, Kiki, Niky, Némo et Girl. parmi d’autres, car la liste complète ne nous est pas connue et que les noms changeaient sans doute selon les lieux de détention. Certains d’entre eux avaient été ramenés de Taiwan et se trouvaient être les ultimes survivants d’une sanglante pêche au rabattage qui fit soixante victimes.
D’autres – Girl et Némo – avaient été capturés dans le Golfe du Mexique et importés illégalement en Belgique en 1981. Ainsi que le rappelle l’auteur de l’enquête, William Johnson, « avant d’adhérer à la CITES, la Belgique a vraiment été le paradis des trafiquants d’animaux ».

Le propriétaire des ces « dauphins wallons » était le sinistre Bruno Lienhardt, un « montreur de dauphins » sans scrupules.  Ce petit Suisse rougeaud et court sur pattes se montrait totalement indifférent à la souffrance de son « matériel » et organisa durant de longues années, les pires trafics concevables et les plus audacieux, au nez et à la barbe des financiers et des douanes.

Avec l’aval des autorités françaises, il imagina également l’un des shows les plus scandaleux connus à ce jour : celui de dauphins captifs sur la scène du Moulin Rouge à Paris ! Un minuscule aquarium secoué en tous sens s’élevait par une trappe  et paraissait lors du final aux côtés de la strip-teaseuse nue.


Un dauphin « traité » par René Busnel (INRA) un couteau de boucher enfoncé dans le dos…

Les recherches de R.G.Busnel

Mais parmi les nombreux méfaits de Liendhardt , l’opération la plus désastreuse fut certainement celle des « soixante dauphins de Taiwan ».  Il s’agissait alors de réapprovisionner les réserves déclinantes de notre « montreur de dauphins » suisse mais aussi de fournir en nouveaux « sujets d’expérience » l’acousticien et spécialiste français des langues sifflées le plus en vue de l’époque, le Docteur René Guy Busnel. Pauvres dauphins ! Il est heureux que tous soient morts avant d’arriver au sinistre laboratoire de ce  scientifique français, attaché à l’INRA et aujourd’hui encore encensé par ses pairs.

Busnel travaillait alors sur le langage des dauphins au profit de l’OTAN.
Il oeuvrait notamment pour l’US Marine Mammal Program, basé au Naval Missile Center and Naval Ocean Systems Center à San Diego en Californie. Un ouvrage daté de 1979 fut signé par lui sur ce thème, sous le titre de «Animal sonar system» et publié par les NATO Scientific series.  Busnel fut enfin le créateur d’un très secret « langage intermédiaire homme-dauphin »qu’il avait conçu à des fins strictement militaires.
Mais ce qui caractérisait surtout les recherches de ce chercheur, c’était la cruauté extrême des expériences menées dans son Laboratoire d’Acoustique Animale en France.

Un dauphin a été photographié sur une table d’opération, totalement mutilé, un couteau à viande planté droit dans son dos. Guy Busnel a d’ailleurs reconnu lui-même que près de dix dauphins par an étaient utilisés dans le cadre de telles recherches à l’époque.  C’est-à-dire torturés puis euthanasiés puis  disséqués enfin…
Dans une chronique publiée dans le journal de l’association,  J.J.Barloy, aujourd’hui membre de la Ligue française des Droits de l’Animal, se souvient :
 » Vers 1970, le laboratoire de physiologie acoustique de I’INRA (Institut national de la Recherche Acoustique à Jouy-en-Josas, j’ai  vu un haut-parleur placé sur une cage et diffusant des sons terrifiants. Dans la cage se trouvaient des poussins. Il s’agissait d’observer les effets du son sur leur oreille interne.

Le directeur de ce laboratoire était alors René Guy Busnel, lequel s’illustra également en cautionnant la présence de dauphins au Moulin-Rouge.  Pendant un temps, il a étudié  les « cris de dauphins » auxquels il appliquait des décharges électriques. En qualité de conseiller scientifique, Busnel avait aussi poussé au projet de la Ville de Paris d’installer un delphinarium dans le trou des Halles (1981), projet heureusement abandonne après de très vives oppositions (notamment de la LFDA et de Greenpeace qui avaient agi ensemble) ».


Le « Zoo Marin » de Perpignan étaient demandeur pour les dauphins capturés dans le sang à Taiwan

Les dauphins de Taiwan

A la demande du scientifique Guy Busnel et du trafiquant de dauphins Lienhardt, une chasse au rabattage fut donc commanditée à des pêcheurs de Taiwan.
Ceux-ci firent comme toujours, ils rabattirent le « pod » de dauphins vers la  plage en frappant l’eau à coups de bambous et les regroupèrent dans un filet puis dans une baie close.
30 d’entre eux se noyèrent pendant l’opération. Une fois tous rassemblés dans la baie de Makung, entassés les uns sur les autres, les survivants moururent l’un après l’autre, dévorés par les maladies de peau et la malnutrition. Il ne resta bientôt plus qu’une grosse vingtaine de dauphins.

Une autre chasse fut alors organisée et quinze nouvelles victimes furent encore ajoutées au lot, mais les décès se succédaient toujours à vive allure. La peau des animaux se couvraient de pustules purulents sous le soleil.
En outre, chaque dauphin mort était tiré hors de l’eau et découpés pour la boucherie par les pêcheurs chinois sur la plage même.
Le sang et les déchets de viande flottaient jusqu’aux enclos où croupissaient les dauphins promis au delphinarium, au point que Lienhardt s’inquiéta – tout de même ! – des risques d’infection. Les Chinois lui répondirent qu’on avait toujours procédé comme ça dans la région..
Finalement, 22 dauphins furent prêts à être envoyés vers Francfort dans un Boeing 707, par un vol trop longtemps différé. Beaucoup périrent à l’arrivée ou durant le voyage. Un dauphin mourut de peur sur le tarmac même de l’aéroport, à cause du bruit provoqué par les moteurs de l’avion.

Les animaux devaient ensuite être livrés à Perpignan (« Zoo Marin« , une structure aujourd’hui disparue) mais on les réorienta en urgence vers le parc Safariland, en Allemagne.
Les huit derniers dauphins survivants qui débarquèrent enfin en Europe furent redistribués entre le parc Walibi, en Belgique, et d’autres delphinariums au Luxembourg et en Allemagne.

Dans un bassin glacé au parc Walibi

Boy, Léo, Missy, Kiki, Niky, Némo, Girl et peut-être d’autres encore se retrouvèrent donc tous à Walibi, les uns venus de Taiwan, les autres d’Amérique. 
Selon la dresseuse Debbie Steele, qui en prit soin en 1982, on les avait logé dans un bassin d’une saleté immonde et pleine d’une eau particulièrement froide :  6° centigrades, alors que la  température de l’eau devrait se situer entre 19 et 24 degrés pour des dauphins de ce type.

Les poissons (maquereaux) étaient à ce point faisandés et imbibés de thyamine qu’ils ont fini par empoisonner l’un des dauphins nommé Boy. Il mourut d’une hernie compliquée d’un ulcère mais Lienhardt refusa d’acheter du poisson plus frais. Il n’en avait pas les moyens, déclara-t-il à la dresseuse.

Kiki, une petite femelle, fut envoyée à Paris pour rejoindre les ultimes survivants  du Moulin Rouge, les dauphins Missie et Léo.  Terrifiée, même pas apprivoisée – on se souvient de la manière dont elle fut capturée à Taiwan puis amenée sur ces lieux ! – Kiki refusait de se calmer dans sa caisse et ruait en tous sens.
Lienhardt la bourra de valium, au risque de la tuer, et l’expédia tout de même. Elle mourut à Paris.

Les spectacles de dauphins au Moulin Rouge ne prirent fin qu’en 1984.
La dernière survivante de ce show de cauchemar, la petite femelle Niky, qui avait été capturée au Mexique, à demi morte d’épuisement, fut renvoyée à Walibi.
Elle y resta un moment avec les dauphins Missy et Léo , récemment rapatriés en Belgique eux aussi, puis ils furent tous trois expédiés vers la Suisse en octobre 1984, afin de rejoindre deux autres cétacés de Lienhardt, temporairement loués à Connyland.

Ce delphinarium, notons-le, avait jusqu’il y a peu l’amusante caractéristique d’abriter une discothèque en son sein. Chaque nuit, les dauphins vivaient la fête en directe à travers la vitre de leurs bassins, musique et lasers compris !

Niky mourut rapidement : le 25 novembre 1984, son corps mutilé et amaigri fut retiré du bassin de Connyland et emmené pour autopsie à l’hôpital vétérinaire de Zurich.  La courageuse petite delphine avait fini par décéder d’un fibrome des poumons et d’une dermatose, mais surtout du fait des blessures cruelles et profondes que les autres dauphins du bassin-discothèque lui avaient infligés à la zone génitale.

Le stress les avait rendu fous…

Le sinistre Connyland

 


Les  dauphins de Walibi au Caire !

Léo et Némo furent pour leur part expédiés au Knies Kinderzoo à Rapperswil où ils furent entassés dans un trou d’eau minuscule en compagnie de trois autres dauphins américains.
Les bagarres n’arrêtaient pas. Le bassin était bien trop petit. Lienhardt reprit alors une nouvelle fois ses dauphins et les chargea dans la soute à bagages d’un vol en partance pour l’Égypte.
Léo (Limo) et Némo furent « accueillis » dans la piscine circulaire (35 mètres de diamètre) de l’hôtel Méridien, l’un des plus chics du Caire.

Le soir de leur arrivée, ce 4 novembre 1987, un cocktail mondain fut organisé en présence de Madame Moubarak et de toute la gentry égyptienne :  champagne et petits fours !
Pourtant, le responsable de l’hôtel, qui croyait « louer » ces dauphins pour un temps, dut rapidement déchanter : les animaux étaient incapables d’exécuter le moindre show, malgré l’armée de dresseurs plus nuls les uns que les autres qui se succédèrent en vain pour leur apprendre des tours. Tout le monde voulait à présent se débarrasser d’eux, qu’ils dégagent de cette piscine désormais inaccesible aux clients de l’hôtel.

Mais leur propriétaire, Lienhart, reste introuvable.
Furieux, le responsable de l’Hôtel Méridien nourrit de moins en moins les dauphins : trois kilos de poissons par jour, au lieu des huit nécessaires et seulement des sardines congelées. Aucune activité. Aucun soin vétérinaire. Couverts des plaies profondes dues à leur voyage, l’estomac rongé par l’ulcère, les deux dauphins tournent en rond sans but dans leurs propres excréments, le filtrage de l’eau d’une piscine pour humains étant beaucoup moins puissant que celle prévue pour les dauphins.

Les otaries, emmenées en même temps que les dauphins, finissent par mourir.
Et cette fois, l’Hôtel Méridien commence à se fâcher pour de bon ! On poursuit Lienhardt en justice. En vain ! L’homme est insaisissable.
Bientôt, ce sont les activistes qui réagissent et montent au front : Doug Cartlidge et Debbie Steele arrivent au Caire au nom de l’organisation Zoo Check et exige la réhabilitation en mer de ces deux dauphins sur le point d’expirer.

Il s’agit, rappelons-le, de dauphins encore sauvages, qui n’ont jamais vraiment été dressés et dont la capture date de quelques années à peine. Leur réinsertion en mer ne devrait donc poser aucun problème, pas plus qu’elle n’en a posé aux dauphins de Corée. Mais c’est précisément ce que les instances supérieures de la captivité, réunies en urgence au siège de Sea World, entendent éviter à tout prix : il ne faut pas que le public sache que les réhabilitations sont possibles et le plus généralement couronnées de succès.
En outre, Lienhart commence à leur faire une très mauvaise publicité. On parle de ces dauphins dans tous les journaux du monde.
Que faire ?


Le Marineland d’Antibes

Comme souvent en pareille circonstance, quand il s’agit d’aider les Américains, l’homme providentiel sera une fois de plus le Directeur du Marineland d’Antibes, l’incontournable Mike Ridell !
Celui-ci expédie en urgence son vétérinaire de choc, le Dr David Taylor, qui accourt au chevet des dauphins du Caire.
Némo est devenu fou : dangereusement agressif, il mord tout qui l’approche !

Pas question de réhabilitation, déclare le vétérinaire à la solde des delphinariums, après avoir réuni toute la presse internationale, car ces dauphins n’y survivraient pas ! Il faut les amener au contraire dans un bassin-hôpital à Antibes.
Voilà qui tombe bien, d’ailleurs : Mike Ridell a justement beaucoup de trop de femelles et deux mâles gratuits sont toujours les bienvenus quand on prétend mener un programme de reproduction en bassin !

 

Lienhardt tente encore une dernière fois de  récupérer son bien, en prétextant un show à organiser d’urgence dans une piscine d’Arabie saoudite mais cette fois, il est allé trop loin. L’Industrie lui refusera désormais son aide.
Que le bassin-hôpital soit encore plus étroit que la piscine du Caire ou que les deux dauphins doivent y rester confinés près d’un an en quarantaine, importe peu à Mike Ridell : les ordres d’en haut sont qu’ils ne retournent pas en mer !

Némo s’enfonce alors dans une dépression définitive : comme Iris à Duisburg en 2003  il flotte, immobile, dans un coin de son bassin. Puis il meurt.  Son compagnon Léo -Limo le suit de près. 
Ni leur nom ni leur histoire ne seront plus jamais évoqué par le Marineland d’Antibes, dont la population de Tursiops  est aujourd’hui presque entièrement « renouvelée  »

Et Girl ? Nous l’avions laissée à Connyland au début des années 80.
Inutile puisque incapable de faire quelque show que ce soit, on l’envoie non loin de Vienne, dans la piscine non chauffée du Safari Park de Ganserndorf.
Ce trou d’eau glacé ne mesure que 12 mètres de diamètre, et l’automne approche à grands pas. La delphine va mourir de froid. Alors, en désespoir de cause, Conny Gasser la reprend dans son bassin-dancing, où enfin, ses souffrances prennent fin à tout jamais…

 


Conclusion

Des soixante dauphins capturés à Taiwan en 1982, aucun n’a donc survécu à l’opération, ni sur place ni en bassin. Tous sont morts aujourd’hui. C’est une tribu entière que Lienhardt a massacré, individu après individu.  Et bien d’autres dauphins encore, ainsi qu’on vient de le voir.

Pourtant, pendant 18 ans, l‘European Association for Aquatic Mammals (E.A.A.M.), cette organisation qui vise officiellement à l’amélioration de conditions de captivité, n’exprima jamais aucune objection à propos des activités de ce  pourvoyeur de dauphins.
Le « vétérinaire de choc d’Antibes », le Dr David Taylor, dépêché au Caire, ne s’était jamais soucié de leur sort auparavant, ni à Walibi, ni à Connyland, qu’il visita pourtant à cette époque.

Ce n’est que lorsque la presse se mit à en parler que l’EAAM , dut condamner Lienhardt et l’exclure de ses rangs.
Mike Ridell, le directeur du Marineland d’Antibes, estima lui aussi, mais fort tard, que cet homme nuisait à l’image scientifique et pédagogique des delphinariums, image fallacieuse, certes, mais qu’il fallait et qu’il faut encore à tout prix maintenir dans l’esprit du public.
Lorsqu’on considère les agissements criminels de ces pourvoyeurs de dauphins,  GewaltTiebor, Lienhardt et les autres, quand on prend conscience que cirques ambulants et vivisections sur des dauphins vivants étaient des pratiques parfaitement  admises il y a vingt ans à peine, on doute que tout  à coup, l’industrie de la captivité se soit refait une morale et qu’elle traiterait désormais les dauphins comme des princes !
Aujourd’hui, on importe toujours des dauphins en Europe, il y a toujours des chasses au rabattage à Taiji, on se sert toujours de dauphins à des fins militaires, on dresse toujours des cétacés pour le spectacle… Et le Marineland est toujours là !

Le calvaire de nos pauvres dauphins de Walibi n’aura donc servi à rien.
Car jusqu’ici, personne n’en a jamais rien su….

 

D’après « The rose tinted menagerie » de William M. Johnson

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