Dauphin : cerveau, conscience et monde mental
Le cerveau et l’intelligence
Les cétacés ont une histoire évolutive considérablement divergente par rapport aux mammifères terrestres.
Tout au long de leurs 55 millions d’années d’évolution, les cétacés ont acquis un ensemble de caractéristiques qui incluent la capacité d’écholocation (chez les odontocètes), des capacités auditives et communicatives sophistiqués ainsi qu’une organisation sociale complexe.
De plus, malgré le fait que les cétacés n’aient plus partagé d’ancêtre commun avec les primates depuis plus de 90 millions d’années, ils disposent d’un ensemble de capacités cognitives incroyablement convergentes avec celles de nombreux grands primates, y compris les humains.
En revanche, pour atteindre ce même niveau, les cétacés ont développé une combinaison très inhabituelle de caractéristiques anatomiques bien différentes de celles des primates. Les cerveaux des cétacés et ceux des grands primates doivent donc être envisagés comme deux voies d’accès évolutives alternatives à la complexité neurobiologique et cognitive. De nombreuses espèces d’odontocètes possèdent des niveaux d’encéphalisation juste inférieurs (EQ 5) à ceux des humains modernes (EQ 7) et significativement plus élevés que tous les primates anthropoïdes non humains (EQ 3.3).
Le télencéphale des cétacés est disposé en trois couches concentriques de tissu limbique, paralimbique et supralimbique. Le nombre élevé de circonvolutions (gyrification corticale) font que la surface totale du cerveau, une fois dépliée, serait d’environ 3.745 cm2, un chiffre insurpassé, y compris chez l’humain. Alors que les cerveaux des primates présentent un grand lobe frontal, aucune région homologue n’a été identifiée chez les cétacés. Il faut parler chez eux de «lobe orbital», en référence à ces régions hémisphériques développées dans les zones temporales et pariétales.
De même, il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que les analogues corticaux préfrontal de cétacés et de primates soient, en fait, situés dans la même région du cerveau. Cependant, l’expansion des cortex insulaires et cingulaires chez les cétacés est compatible avec les fonctions cognitives de haut niveau – telles que l’attention, le jugement, l’intuition et la conscience sociale – connues pour être associées à ces régions chez les primates. Ce point de vue est encore étayé par l’observation que le cortex antérieur et le cortex cingulaire antérieur chez les cétacés présentent un grand nombre de neurones pyramidaux (spindle neurons) dans la couche V, semblables à ceux que l’on pensait seulement trouver chez les humains et les grands singes. Ces neurones particuliers sont considérés comme responsables des réseaux neuronaux qui servent des aspects de la cognition sociale.
En laboratoire, malgré la cruauté de ces études, plusieurs recherches ont permis de documenter diverses dimensions des capacités intellectuelles du dauphin. Il s’agit notamment d’une compréhension des représentations symboliques des choses et des événements (connaissance déclarative), une compréhension de la façon dont les choses fonctionnent ou comment les manipuler (connaissances procédurales), une compréhension des activités, des identités et des comportements des autres (connaissances sociales) et enfin une compréhension de sa propre image, du comportement et des parties du corps (connaissance de soi).
Toutes ces capacités reposent sur une base mémorielle solide. La mémoire auditive, visuelle et spatiale des dauphins Tursiops est précise et robuste.
Les capacités d’apprentissage flexibles et diversifiées des dauphins sont bien documentées, y compris, par exemple, l’apprentissage d’une variété de types de règles abstraites et la compréhension spontanée et l’exécution des instructions des formateurs seulement présents sur un écran vidéo. L’apprentissage d’un langage imposé est peut-être la tâche cognitive la plus difficile que les dauphins ont rencontrée en laboratoire. Les dauphins ont appris à comprendre non seulement les traits sémantiques des langages gestuels et acoustiques artificiels, mais aussi les traits syntaxiques. L’apprentissage de structures syntaxiques complexes ou le décodage de structures anomales a souvent été réalisé par inférence, plutôt que par une instruction explicite.
Les dauphins apprennent spontanément les associations entre des sons et des événements appariés temporellement et démontrent des capacités imitatives étendues pour les sons et les comportements. Les dauphins peuvent développer le concept de « mimétisme » en copiant un comportement observé ou un son si on lui donne une instruction symbolique pour le faire. Les dauphins sont les seuls mammifères, autres que les humains, qui sont capables à la fois d’un mimétisme vocal et comportemental riche et vaste.
En mer, les dauphins font également bon usage de leur cerveau.
Des recherches menées pendant des décennies sur le terrain ont démontré que les dauphins vivent dans de grands groupes complexes avec des relations très différenciées qui comprennent des liens à long terme, des alliances d’ordre supérieur et des réseaux coopératifs qui s’appuient sur l’apprentissage et la mémoire. Les «alliances d’alliances», observées chez les dauphins, sont rares hors de notre espèce, même chez les grands primates. Il est également prouvé que la prise de rôles individuels est apparue dans les sociétés de dauphins pour faciliter les relations de coopération et les processus décisionnels.
Cetaceans Have Complex Brains for Complex Cognition
Cortical complexity in cetacean brains Patrick R. Hof, Rebecca Chanis, Lori Marino 2005
Pourquoi un gros cerveau ?
« Nous devons nous souvenir que le monde mental du dauphin est élaboré par l’un des systèmes de traitement de l’information parmi les plus vastes qui ait jamais existé parmi les mammifères « déclare H.Jerison, insistant sur le fait que « développer un gros cerveau est extrêmement coûteux en énergie et en oxygène. Cet investissement a donc une raison d’être en terme d’évolution darwinienne. Nous devons dès lors considérer la manière dont ces masses importantes de tissu cérébral ont été investies dans le contrôle du comportement et de l’expérimentation du monde, ceci en comparaison avec l’usage qu’en font les petites masses cérébrales ».
Un cerveau est par essence un organe chargé de traiter l’information en provenance du monde extérieur.
Les grands cerveaux exécutent cette tâche en tant qu’ensemble élaborés de systèmes de traitement, alors que le cerveau de la grenouille ou de l’insecte, par exemple, se contente de modules moins nombreux, dont la
finesse d’analyse est comparativement plus simple.
Cela ne nous empêche pas cependant de retrouver des structures neuronales étonnamment semblables d’un animal à l’autre : lorsqu’un promeneur tombe nez à nez avec un crotale, c’est le même plancher sub-thalamique dévolue à la peur qui s’allume chez l’une et l’autre des ces créatures. Quant un chien ou un humain se voient soulagés de leurs angoisses par le même produit tranquillisant, ce sont évidemment les mêmes neuromédiateurs qui agissent sur les mêmes récepteurs neuronaux qui sont la cause du phénomène.
A un très haut niveau de cette hiérarchie, le traitement en question prend la forme d’une représentation ou d’un modèle du monde (Craik, 1943, 1967, Jerison, 1973) et l’activité neuronale se concentre en « paquets d’informations » (chunks) à propos du temps et de l’espace et à propos d’objets, en ce compris les autres individus et soi-même.
« Puisque le modèle du monde qui est construit de la sorte » insiste H.Jerison, « se trouve fondé sur des variables physiquement définies issues directement du monde externe et puisque ces informations sont traitées par des cellules nerveuses et des réseaux neuronaux structurellement semblables chez tous les mammifères supérieurs, les modèles du monde construits par différents individus d’une même espèce ou même chez des individus d’espèces différentes, ont de bonnes chances d’être également similaires « .
Et à tout le moins compréhensibles l’un pour l’autre.
Outils et cultures
A Shark Bay, en Australie, les dauphins sauvages utilisent des éponges marines en tant qu’outils pour fourrager les fonds marins caillouteux sans se blesser le rostre. Une étude démontre que les explications génétiques et écologiques de ce comportement sont inadéquates. (..) Ainsi, le fait de se servir d’une éponge (« to sponge») est le premier cas connu d’une culture matérielle présente chez une espèce de mammifère marin. Le «sponging» montre une transmission sociale verticale presque exclusive au sein d’une matrilinéaire unique de la mère à la progéniture femelle.
A Shark Bay toujours, existe une autre culture, la chasse sur la grève.
Celle-ci exige un échouage partiel ou presque total sur les plages de la côte. En dix années d’observation, seuls quatre adultes et leurs petits ont été observés en train de chasser de cette manière pendant plus d’une année. Seuls les petits nés de parents qui chassaient sur la grève développent eux aussi cette tactique, bien que l’échouage total, très dangereux, ne s’observe pas avant l’âge de 5 ans. Les « chasseurs de grève » utilisent les habitats peu profonds près des côtes et sont plus susceptibles de chasser durant la marée montante. Aucun haplotype d’ADN mitochondrial n’appuie ici une transmission matrilinéaire stricte. La chasse sur la grève implique donc vraisemblablement un apprentissage social vertical par les petits, alors qu’il peut se produire un apprentissage individuel, horizontal et (ou) oblique chez les individus qui fréquentent les habitats côtiers peu profonds à leurs côtés.
Les Keys en Floride sont constituées par un mélange de mangrove et de petites îles reliées par des vasières couvertes d’eau peu profonde.
La mer y est riche en nutriments et en poissons. Les dauphins ont trouvé un moyen d’attraper facilement les bancs de mulets en mouvement rapide. Ils localisent les bancs avec leur sonar. Une fois qu’ils ont trouvé un banc, un seul dauphin nage en cercles autour de lui bas sur le fond marin en frappant violemment sa caudale vers le bas. Ce geste remue la vase du fond et les poissons sont bientôt entourés par un mur de boue de plus en plus étroit. Les dauphins, avec le reste du pod, s’alignent côte à côte autour de l’anneau de boue. Le poisson paniqué saute hors de l’eau au-delà du mur de boue et tombe dans la bouche ouverte des dauphins en attente. Cette technique est pratiquée uniquement par les dauphins dans une région précise et seuls, certains dauphins de cette zone pratiquent réellement la technique, transmise de la mère à l’enfant. Les dauphins ont presque toujours plus d’une façon de chasser, et peuvent manger une variété très vaste de proies.
Cultural transmission of tool use in bottlenose dolphins
Specialization and development of beach hunting, a rare foraging behavior, by wild bottlenose dolphins (Tursiops sp.)
La chasse au mur de boue
La conscience du dauphin
Imaginons un instant ce que pourrait être « l’Umwelt » d’un dauphin…
Au centre d’un réseau d’informations sensorielles qu’il ré-organise sans cesse en tant qu’images du monde, pulse un noyau de conscience conscient de lui-même.
Lire la suite sur : Quel effet cela fait-il d’être un dauphin ?
Les capacités cognitives du dauphin
Généralités
Au-delà de leur physiologie cérébrale, les dauphins font preuve de capacités extrêmement rares dans le domaine animal. Comme les humains, les dauphins peuvent imiter, aussi bien sur le mode gestuel que sur le mode vocal, ce qui est soi est déjà exceptionnel. Si certains oiseaux peuvent imiter la voix, ils n’imitent pas les attitudes. Les singes, de leur côté, imitent les gestes et non les mots. Le dauphin est capable des deux.
Les dauphins chassent les poissons et se nourrissent d’invertébrés, mais ils usent pour ce faire de techniques complexes et variables, acquises durant l’enfance grâce à l’éducation.
L’usage des outils ne leur est pas inconnu : un exemple frappant de cette capacité est la façon dont deux dauphins captifs s’y sont pris pour extraire une murène cachée dans le creux d’un rocher à l’intérieur de leur bassin. L’un d’eux a d’abord attrapé un petit poisson scorpion très épineux, qui passait dans le secteur, et l’ayant saisi dans son rostre, s’en est servi comme d’un outil pour extraire la murène de sa cachette.
S’exprimant à propos de leur intelligence, le Dr Louis M.Herman, Directeur du Kewalo Basin Marine Mammal Laboratory de l’Université d’Hawaii, note que les dauphins gardent en mémoire des événements totalement arbitraires, sans le moindre rapport avec leur environnement naturel et sans aucune incidence biologique quant à leur existence.
Recherches sur le langage des dauphins
Beaucoup d’humains trouvent intrigante l’idée de communiquer avec d’autres espèces. A cet égard, le dauphin constitue un sujet attractif, particulièrement dans le domaine du langage animal, du fait de ses capacités cognitives et de son haut degré de socialisation.
Dès le début des années soixante, c’est le neurologue John Lilly qui, le premier, s’est intéressé aux vocalisations des cétacés. Les recherches de Lilly se poursuivirent durant toute une décennie, tout en devenant de moins en moins conventionnelles. Le savant alla même jusqu’à tester les effets du L.S.D. sur les émissions sonores des dauphins et dut finalement interrompre ses recherches en 1969, lorsque cinq de ses dauphins se suicidèrent en moins de deux semaines. Malheureusement, nombre de découvertes ou de déclarations de John Lilly sont franchement peu crédibles et ont jeté le discrédit sur l’ensemble des recherches dans le domaine du langage animal.
De ce fait, ces recherches sont aujourd’hui rigoureusement contrôlées et très méticuleuses, de sorte que les assertions des scientifiques impliqués dans ce secteur restent désormais extrêmement réservées.
Louis Herman est sans doute l’un des plus importants chercheurs à mener des études sur la communication et les capacités cognitives des dauphins. Son instrument de travail privilégié est la création de langues artificielles, c’est-à-dire de langages simples crées pour l’expérience, permettant d’entamer des échanges avec les dauphins.
Louis Herman a surtout concentré ses travaux sur le phénomène de la « compréhension » du langage bien plus que sur la « production » de langage, arguant que la compréhension est le premier signe d’une compétence linguistique chez les jeunes enfants et qu’elle peut être testée de façon rigoureuse.
En outre, la structure grammaticale qui fonde les langages enseignés s’inspire le plus souvent de celle de l’anglais. Certains chercheurs ont noté qu’il aurait été mieux venu de s’inspirer davantage de langues à tons ou à flexions, comme le chinois, dont la logique aurait parue plus familière aux cétacés.
Dans les travaux d’Herman, on a appris à deux dauphins, respectivement nommés Akeakamai (Ake) et Phoenix, deux langues artificielles. Phoenix a reçu l’enseignement d’un langage acoustique produit par un générateur de sons électroniques.
Akeakamai, en revanche, a du apprendre un langage gestuel (version simplifiée du langage des sourds-muets), c’est-à-dire visuel. Les signaux de ces langues artificiels représentent des objets, des modificateurs d’objet (proche, loin, gros, petit, etc.) ou encore des actions. Ni les gestes ni les sons ne sont sensés représenter de façon analogique les objets ou les termes relationnels auxquels ils se réfèrent.
Ces langages utilisent également une syntaxe, c’est-à-dire des règles de grammaire simples, ce qui signifie que l’ordre des mots influe sur le sens de la phrase. Phoenix a appris une grammaire classique, enchaînant les termes de gauche à droite (sujet-verbe-complément) alors que la grammaire enseignée à Ake allait dans l’autre sens et exigeait de sa part qu’elle voit l’ensemble du message avant d’en comprendre le sens correctement.
Par exemple, dans le langage gestuel de Ake, la séquence des signaux PIPE-SURFBOARD-FETCH (« tuyau – planche à surf – apporter ») indiquait l’ordre d’amener la planche de surf jusqu’au tuyau, alors que SURFBOARD-PIPE-FETCH (« planche-tuyau- rapporter ») signifiait qu’il fallait, au contraire, amener le tuyau jusqu’ à la planche de surf.
Phoenix et Ake ont ainsi appris environ 50 mots, lesquels, permutés l’un avec l’autre au sein de séquences courtes, leur permirent bientôt de se servir couramment de plus de mille phrases, chacune produisant une réponse neuve et non apprise. Compte tenu de l’influence possible de la position dans l’espace des
expérimentateurs sur l’expérimentation, les lieux d’apprentissage et les entraîneurs se voyaient
changés de session en session. Dans le même temps, des observateurs « aveugles », qui ne connaissaient pas les ordres et ne voyaient pas les entraîneurs, notaient simplement le comportement des dauphins, afin de vérifier ensuite qu’il correspondait bien aux commandes annoncées.
Les entraîneurs allaient jusqu’à porter des cagoules noires, afin de ne révéler aucune expression ou intention faciale et se tenaient immobiles, à l’exception des mains. Les dauphins se montrèrent capables de reconnaître les signaux du langage gestuels aussi bien lorsqu’il étaient filmés puis rediffusés sur un écran vidéo que lorsque ces mêmes signes étaient exécutés à l’air libre par l’entraîneur.
Même le fait de ne
montrer que des mains pâles sur un fond noir ou des taches de lumière blanche reproduisant la dynamique des mains, a largement suffi aux dauphins pour comprendre le message ! Manifestement, il semble donc que les dauphins répondent davantage aux symboles abstraits du langage qu’à tout autre élément de la communication.
Par ailleurs, si les dauphins exécutent aisément les ordres qu’on leur donne par cette voie gestuelle, ils peuvent également répondre de façon correcte à la question de savoir si un objet précis est présent ou absent, en pressant le levier approprié (le clair pour PRESENT, le sombre pour ABSENT). Ceci démontre évidement leur faculté de « déplacement mental », qui consiste à manipuler l’image d’objets qui ne se trouvent pas dans les environs.
Des expériences additionnelles ont conduit à préciser comment le dauphin conçoit l’étiquetage des objets, comment il les qualifie de son point de vue mental. »Nous avons constaté » nous apprend Louis Herman, « qu’au regard du dauphin, le signe CERCEAU n’est pas seulement le cerceau précis utilisé dans le cadre de cette expérience précise, c’est plutôt TOUT OBJET DE GRANDE TAILLE PERCE D’UN GRAND TROU AU MILIEU. Un seul concept général associe donc pour le dauphin les cerceaux ronds, carrés, grands et petits, flottants ou immergés, que l’on utilise généralement lors de la plupart des expériences ».
Parmi les choses que le Dr Herman estime n’avoir pu enseigner aux dauphins, il y a le concept du « non » en tant que modificateur logique. L’ordre de « sauter au-dessus d’une non-balle » indique en principe que le dauphin doit sauter au-dessus de n’importe quoi, sauf d’une balle ! Mais cela n’est pas compris, pas plus, affirme toujours Herman, que le concept de « grand » ou de « petit ».
Communication naturelle chez les dauphins
On sait que les dauphins émettent de nombreux sifflements, de nature très diverse. La fonction de la plupart d’entre eux demeure toujours inconnue mais on peut affirmer aujourd’hui que la moitié d’entre eux au moins constitue des « signatures sifflées ». Un tel signal se module dans une fourchette de 5 à 20 kilohertz et dure moins d’une seconde. Il se distingue des autres sifflements -et de la signature de tous les autres dauphins – par ses contours particuliers et ses variations de fréquences émises sur un temps donné, ainsi que le montrent les sonogrammes.
Les jeunes développent leur propre signature sifflée entre l’âge de deux mois et d’un an.
Ces sifflements resteront inchangés douze ans au moins et le plus souvent, pour la durée entière de la vie de l’animal. Par ailleurs, au-delà de leur seule fonction nominative, certains des sifflements du dauphin apparaissent comme de fidèles reproductions de ceux de leurs compagnons et servent manifestement à interpeller les autres par leur nom.
Lorsqu’ils sont encore très jeunes, les enfants mâles élaborent leur propre signature sifflée, qui ressemble fort à celle de leur mère. En revanche, les jeunes femelles doivent modifier les leurs, précisément pour se distinguer de leur mère. Ces différences reflètent sans doute celles qui existent dans les modes de vie des femelles et des mâles. Puisque les filles élèvent leur propre enfant au sein du groupe maternel, un sifflement distinct est donc indispensable pour pouvoir distinguer la maman de la grand mère. La signature sifflée masculine, presque identique à celle de la mère, permet tout au contraire d’éviter l’inceste et la consanguinité.
Le psychologue James Ralston et l’informaticien Humphrey Williams ont découvert que la signature sifflée pouvait véhiculer bien plus que la simple identité du dauphin qui l’émet. En comparant les sonogrammes des signatures sifflées durant les activités normales et lors de situations stressantes, ils découvrirent que la signature sifflée, tout en conservant sa configuration générale, pouvait changer en termes de tonalité et de durée et transmettre ainsi des informations sur l’état émotionnel de l’animal.
Les modifications causé par cet état émotionnel sur les intonations de la signature varient en outre selon les individus. Les dauphins semblent donc utiliser les sifflement pour maintenir le contact lorsqu’ils se
retrouvent entre eux ou lorsqu’ils rencontrent d’autres groupes, mais aussi, sans doute, pour coordonner leur activités collectives. Par exemple, des sifflements sont fréquemment entendus lorsque le groupe entier change de direction ou d’activité.
De son côté, Peter Tyack (Woods Hole Oceanographic Institute) a travaillé aux côtés de David Staelin, professeur d’ingénierie électronique au M.I.T., afin de développer un logiciel d’ordinateur capable de détecter les « matrices sonores » et les signaux répétitifs parmi le concert de couinements, piaulements et autres
miaulements émis par les dauphins. Une recherche similaire est menée par l’Université de Singapore (Dolphin Study Group). Avec de tels outils, les chercheurs espèrent en apprendre davantage sur la fonction précise des sifflements.
Dauphins sociaux
Les observations menées sur des individus sauvages aussi bien qu’en captivité révèlent un très haut degré d’ordre social dans la société dauphin.
Les femelles consacrent un an à leur grossesse et puis les trois années suivantes à élever leur enfant. Les jeunes s’éloignent en effet progressivement de leur mère dès leur troisième année, restant près d’elle jusqu’à six ou dix ans ! – et rejoignent alors un groupe mixte d’adolescents, au sein duquel ils demeurent plusieurs saisons.
Parvenus à l’âge pleinement adulte, vers 15 ans en moyenne, les mâles ne reviennent plus que rarement au sein du «pod» natal. Cependant, à l’intérieur de ces groupes d’adolescents, des liens étroits se nouent entre garçons du même âge, qui peuvent persister la vie entière. Lorsque ces mâles vieillissent, ils ont tendance à s’associer à une bande de femelles afin d’y vivre une paisible retraite.
Bien que les dauphins pratiquent bien volontiers la promiscuité sexuelle, les familles matriarcales constituent de fortes unités de base de la société dauphin. Lorsqu’une femelle donne naissance à son premier enfant, elle rejoint généralement le clan de sa propre mère et élève son delphineau en compagnie d’autres bébés, nés à la même saison. La naissance d’un nouveau-né donne d’ailleurs souvent lieu à des visites d’autres membres du groupe, mâles ou femelles, qui s’étaient séparés de leur mère depuis plusieurs années.
Les chercheurs ont également observé des comportements de « baby-sitting », de vieilles femelles, des soeurs ou bien encore d’autres membres du groupe, voire même un ancien mâle prenant alors en charge la surveillance des petits. On a ainsi pu observer plusieurs dauphins en train de mettre en place une véritable « cour de récréation », les femelles se plaçant en U et les enfants jouant au milieu !
(D’après un texte du Dr Poorna Pal)