Codas, clics et clangs : le langage morse des cachalots

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Codas, clics et clangs : le langage morse des cachalots

Codas, clics et clangs : le langage des cachalots n’est toujours pas déchiffré mais on commence à mieux comprendre comment il fonctionne, à la façon du code morse. Plusieurs nouvelles études scientifiques sont venues éclairer cette fascinante énigme zoosémiotique. 


 La production des sons

Les clics de cachalots ne semblent pas être très directionnels, en ce sens qu’ils ne sont pas semblables à ceux des dauphins, qui sont produits selon un faisceau dirigé sur une cible, un peu comme une lampe de poche acoustique.
Lorsque le cachalot en plongée observe un objet qui se trouve en surface, un bateau ou un nageur par exemple, alors il émet lui aussi des faisceaux de clics rapides dans une direction précise. Ceux-ci ressemblent plutôt à des grincements, mais il est probable que ces grincements puissent être directionnels aussi.

Les cachalots disposent donc de deux modes d’écholocation.
– Les clics non-directionnels, produits de manière lente et régulière, constituent un système d’écholocation omnidirectionnel, de longue portée et d’acuité basse, destiné à la navigation et découvrir la présence d’objets de grande taille au sein des vastes espaces tridimensionnels où le cachalot trouve sa nourriture.

– Les trains de clics rapides et directionnels, semblables donc à des grincements, constituent au contraire un système écholocatoire d’acuité haute et de portée courte, émis sous forme de rayon et nettement plus semblables aux clics des dauphins et orques.

Les cachalots se servent aussi des clics pour communiquer.
Au niveau le plus fondamental, pouvoir entendre d’autres baleines émettre de tels sons cliqués sur une distance de plusieurs kilomètres permet de maintenir la cohésion du groupe et à ses membres d’échanger des informations.

Tous ces clics sont produits à l’intérieur de l’énorme tête du cachalot.
Cette structure démesurée se compose de deux grands corps adipeux et contient également un réseau des conduits aériens. Le passage nasal gauche est constitué par un large tube droit que le cachalot utilise pour respirer. Ce tube va directement de l’évent aux poumons.
Le passage nasal droit rejoint le tube nasal gauche juste au-dessous de l’évent et va vers les poumons lui aussi, mais selon un chemin moins direct. Il s’aplatit et se boursouflé en poche en divers endroits pour former des sacs aériens.
Ces sacs servent notamment de réflecteurs ou « miroirs sonores », du fait de l’air qu’il contienne. Les plus importants d’entre eux sont le sac frontal qui s’étend sur l’avant du crâne en forme de parabole et le sac distal, très en l’avant de la tête. Juste derrière le sac distal, le tube nasal droit traverse une valvule puissamment musclée qui ressemble à un museau de singe, d’où son nom.
C’est là que sont produits les clics.

La production du sens

Les cachalots émettent des clics selon des modes très caractéristiques, qu’on appelle « codas ».
De telles séquences semblent adaptées à la communication directe entre individus. On les entend le plus souvent lorsque des groupes de cachalots se rassemblent en surface pour quelque temps, afin de se reposer et de socialiser entre eux. Les codas varient selon le nombre de clicks émis et leur mode de distribution.

Code Morse

On peut les considérer comme une sorte de code morse, en plus complexe.
Si à cet égard, les codas représentent une forme de langage, nous sommes cependant bien loin d’en comprendre le sens. Quelques études nous ont livré des aperçus fascinants.
Par exemple, il semble bien que la structure des codas suivent un certain nombre de règles.
L’intervalle entre deux clics au sein d’un même coda peut être soit normal soit long, c’est à dire d’une durée double de la normale.

Certains types de coda paraissent très populaires mais même ces codas d’usage fréquent varient d’une population à l’autre.
Aux Galapagos, par exemple, la coda à cinq clicks (///// ou //// /) prévaut, alors que dans les Açores, c’est la coda de type régulier qui est le plus commun (/ / / / /).
En Mer des Caraïbes, la coda habituelle est composée de deux clicks à longs intervalles puis de trois, de type normal (/ / ///).
Au large du Sri Lanka, par contre, c’est la structure (// /)qui l’emporte. Curieusement, il n’existe apparemment qu’une seule type de coda dans toute la Méditerranée, de type (/// /) : c’est la seule en tous cas qui ait été enregistrée.

Les codas prennent souvent la forme d’échanges entre les membres d’un groupe de cachalots.
Parfois, les cétacés se répondent avec la même coda, parfois avec une coda différente.
Les recherches menées aux Galapagos ont montré que ces échanges pouvaient être très structurés. Certaines codas, telle la coda à cinq clics, par exemple, tendent à être utilisés pour démarrer un dialogue, alors que les codas à huit clics sont émises à la suite des codas à sept clics mais rarement le contraire.

« Les cachalots macrocéphales au large des îles Galápagos, en Équateur, ont été suivis pendant des jours entiers sur des périodes de plusieurs mois et leurs vocalisations enregistrées dans le but de comprendre le sens des vocalisations connues sous le nom de « codas » (séries de cliquetis courts et modulés).
En tout, 1333 codas ont été classifiées d’après leur structure temporelle et le nombre de cliquetis qu’elles contenaient. Les codas étaient très regroupées dans le temps et pouvaient se répartir en 23 types assez distincts.
Une analyse séquentielle des codas a montré que, d’après leur type, les codas se chevauchaient de façon non-aléatoire et que le type 5 avait tendance à susciter des échanges de codas.

Les types réguliers de codas (avec cliquetis échelonnés de façon régulière dans le temps) se retrouvaient généralement en même temps que d’autres types réguliers; de même, les types irréguliers (avec un ou deux cliquetis finaux différés) s’entendaient avec d’autres types irréguliers. Les codas semblent servir principalement de moyens de communication dans un groupe stable de femelles qui se retrouvent après une période de dispersion pour la recherche de nourriture »

Les cachalots disposent donc d’une forme sophistiquée de communication vocale, au sein de laquelle l’information est véhiculée par le nombre et le type d’organisation des clics. La plupart des autres mammifères communiquent vocalement en modifiant leurs appels sonores, mais le cachalot est le seul à utiliser un système aussi peu commun. Pourquoi ?
L’environnement océanique dans lequel les cachalots doivent échanger leurs messages est très réverbérant et peut distordre les signaux acoustiques jusqu’à ce que leur sens soit perdu.
Les codas, pour leur part s’assimilent à une forme simple de communication numérique et sont de ce fait beaucoup moins susceptibles de distorsion. Elles conviennent donc parfaitement pour échanger des informations complexes sur de longues distances dans un environnement difficile.

Les « clangs » sont l’un des sons parmi les plus impressionnants que les cachalots peuvent émettre.
Il s’agit d’un bruit extrêmement fort qui annonce généralement l’arrivée d’un mâle âgé rendant visite à un groupe de femelles.
Ces clics tonitruants et qui résonnent au loin sont émis selon un rythme très lent, à raison d’un son toutes les cinq secondes.
Ils retentissent sous les eaux de manière si puissante qu’il ne peut s’agir là que d’une forme de manifestation de puissance destinée à impressionner les femelles et à mettre en garde les autres mâles.

Que se disent-ils ?

Si les codas produites par les grands cachalots jouent un rôle dans la communication, on ne comprend toujours pas le message qu’elles véhiculent.
« Chez les mâles, on connaît très peu de codas et extrêmement peu de types de codas. 
Nous avons étudié pendant 7 ans la présence et les types de codas chez 15 mâles dans des contextes différents de comportement et de rencontre, explique Hal Whitehead. Lors de 67 rencontres, nous avons noté 615 codas toutes produites par des mâles non solitaires.
Des codas ont été produites lors de 60 % des rencontres de non solitaires et de 36 % des cycles de plongée. 490 codas ont été regroupées en 8 familles et 25 types distincts. Le type de coda utilisé et la phase du cycle de plongée pendant laquelle la coda est produite sont tous les deux associés à des contextes comportementaux particuliers. C’est la première fois qu’on établit une telle association.

Les types de codas de la famille « trois plus » sont surtout utilisés par des cachalots qui plongent ou qui remontent durant un cycle de plongée alimentaire. Les codas de la famille « régulière » et « progressive » sont utilisées presque exclusivement lors d’interactions entre les cachalots. La famille de codas « racine » sert exclusivement en surface, principalement lors de cycles de plongée altérés.
Les types de codas utilisés dans ces trois contextes comportementaux semblent véhiculer des messages différents et nous proposons de les désigner respectivement les « codas du cycle de plongée », les « codas sociales » et les « codas d’alerte ».

Photo François Sarano

Une nouvelle alliance est-elle possible ?

« Nous sommes à un tournant historique de nos relations avec les cachalots, écrit le photographe-plongeur François Sarano, qui mène d’intéressantes recherches à l’île Maurice mais fréquente un peu trop le Parc Astérix.
« Autrefois ces grands cétacés fuyaient les bateaux. La génération actuelle n’a pas connu la chasse, pas plus que la précédente qui ne lui a donc pas enseigné la peur des hommes. Aujourd’hui nous pouvons étudier les cachalots, chez eux sous l’eau, car ils nous accueillent parmi eux si nous les approchons avec respect.
Une nouvelle alliance est possible qui démontre que l’état naturel sauvage n’est pas la fuite ou l’agression mais que le côtoiement entre les espèces est naturellement paisible, et que cette « paix » nous enrichit et nous apaise, nous les hommes ».

Sans doute. Mais force est de constater que rares sont les organismes scientifiques qui prennent vraiment au sérieux l’étude des langages non-humains. Wade Doak s’en désolait déjà et même si de timides avancées ont été accomplies, notamment du côté des chimpanzés,  l’angoisse anthropocentriste éprouvée par certains devant une langue autre qu’humaine freine considérablement ce genre de recherches.
Pourtant, seul la mise en place d’un véritable dialogue de personne à personne, dans le respect le plus absolu de la tranquillité des cachalots, pourrait lever le voile. En cela, la démarche de François Sarano est juste.

Le dialogue est possible, sous réserve de respect


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